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Peut-on survivre à Ebola enceinte ?

Country
Sierra Leone


La sage-femme Ruth Kauffman est une pionnière du travail de MSF auprès des patientes enceintes contaminées par Ebola. Contrairement aux idées reçues, elle prouve que les femmes enceintes peuvent survivre à la maladie. Elle décrit comment elle a aidé Kumba et Musa, en Sierra Leone, à accoucher et à survivre au virus. 

© Fabio Basone/MSF
© Fabio Basone/MSF

« Avant cette épidémie, tout ce que nous savions sur la grossesse et Ebola était qu’en général les femmes mourraient pendant leur grossesse ou pendant l’accouchement. Ebola est une fièvre hémorragique, une fois qu’une femme entre en phase de travail, elle saigne jusqu’à en mourir. Nous savions également que les fœtus ne survivent pas car le virus semble justement se concentrer dans le placenta et le liquide amniotique.

Comme le nombre de personnes contaminées lors des autres épidémies était faible – trop faible pour comprendre l’impact d’Ebola sur la grossesse – peu de recherches ont été menées. Mais nous observons désormais beaucoup plus de personnes contaminées avec cette épidémie, et nous en apprenons plus sur la maladie.

Nous avons été surpris que deux femmes enceintes du centre MSF de Guéckédou, en Guinée, et deux autres de l’autre côté de la frontière à Foya, au Liberia, aient réussi à guérir, à accoucher et à survivre.

Quand une femme va mieux, il semble que la meilleure chose pour elle soit d’accoucher du fœtus, devenu une boule de virus concentrée dans son corps. Nous avons donc commencé à réfléchir aux moyens d’accoucher d’une manière contrôlée, qui soit sécurisée pour les personnes qui aident ces femmes à accoucher et, en définitive, à survivre.

Je travaillais comme sage-femme dans un centre de santé communautaire piloté par MSF à Bo, en Sierra Leone, quand j’ai reçu un appel du centre de gestion d’Ebola à Kailahun, dans le nord-ouest du pays. Ils m’ont dit qu’ils avaient reçu une femme enceinte qui était presque guérie d’Ebola, et j’ai demandé si je pouvais venir aider à l’accouchement. Juste après, une deuxième femme enceinte a été admise dans le même centre. J’ai fait mon sac et je suis partie pour Kailahun.

Un premier accouchement réussi

Là, j’ai rencontré Kumba, qui était enceinte de sept mois, de son troisième enfant. Elle était arrivée au centre avec une charge virale élevée, et y était depuis un mois environ. Kumba savait que son bébé était mort, elle ne sentait plus de mouvement depuis quelque temps.

Nous avons voulu déclencher le travail de manière aussi contrôlée que possible ; nous ne voulions pas le faire au milieu de la tente. Non seulement, cela n’aurait pas été respectueux pour elle, mais s’il y avait beaucoup de sang et de liquide amniotique infectés, alors ç’aurait été très risqué pour tout le monde. L’hôpital de Kenema, dans le centre de la Sierra Leone, a perdu plusieurs infirmiers après que ceux-ci ont participé à l’accouchement d’une collègue contaminée par Ebola. Un contrôle rigoureux de l’infection est essentiel.

Nous avions besoin d’un endroit propre autorisant une protection – tant pour Kumba que pour ceux qui l’aideraient. Par bonheur, l’équipe venait de construire un petit bâtiment pour les gens qui avaient besoin d’un peu plus d’intimité, et nous avons pu l’utiliser pour la naissance.

Nous portions l’équipement de protection individuelle contre Ebola, avec des gants gynécologiques extra-longs en plus des trois autres couches de gants. Quand vous participez à un accouchement, vous bougez beaucoup et vous avez besoin de faire en sorte que votre masque ne glisse pas ni que votre protection sur la tête ne se soulève.

Vous ne pouvez pas rester plus d’une heure dans la zone à haut risque, avec votre équipement de protection. Vous avez besoin d’avoir quelqu’un en standby qui vient vous remplacer. Deux infirmiers attendaient par conséquent à l’extérieur – même s’ils n’avaient pas beaucoup d’expérience en matière d’accouchement, ils ont pu contrôler les signes vitaux de Kumba et la rassurer.

Avant de déclencher le travail, nous avons donné à Kumba des antibiotiques, en supposant qu’elle souffrirait d’une infection d’avoir porté un fœtus contaminé pendant un certain temps. Nous avons également supposé qu’elle saignerait pendant le travail, aussi avions-nous à disposition une grande quantité de soins anti-hémorragie pour la phase post accouchement.

Le travail de Kumba a duré près d’un jour et demi, et s’est passé du mieux que nous pouvions l’espérer. Avec Ebola, vous ne voulez pas toucher le bébé ni tirer sur le placenta : tout doit se faire naturellement.

Ce qui est vraiment étonnant avec cette naissance, c’est que, dès le lendemain matin, l’état de Kumba était stable. Elle ne saignait pas beaucoup et nous avons pu retirer les intraveineuses et le cathéter.

Gérer sur la durée…

L’autre femme enceinte dans le centre, c’était Musa. Elle était arrivée avec un enfant de deux ans, également infecté par Ebola, et tous deux étaient en voie de guérison.

Nous avons annoncé à Musa que nous n’allions pas pouvoir beaucoup l’aider pour la naissance et qu’il faudrait qu’elle se débrouille. Cela a été une décision difficile mais, compte tenu du temps limité dans la zone à haut risque, vous devez décider des moments où vous allez être le plus utile. Le risque le plus élevé pour la mère se situe juste après la naissance. Si vous êtes là une demi-heure alors qu’elle pousse, il ne vous reste plus beaucoup de temps ni d’énergie pour la prochaine étape – vous assurer que le placenta sort correctement et qu’elle ne saigne pas.

L’accouchement s’est très bien passé et, au bout de quelques heures, Musa était sur pied.

Un accouchement est un moment vraiment spécial, même dans ces circonstances. Quelle que soit la culture, vous êtes tout de suite proche de la mère. Et cette intimité est tellement gratifiante. Qui plus est dans le contexte d’Ebola.

L’expérience de Kumba et de Musa m’a confirmé qu’avec des ressources et des soins spécialisés, les femmes enceintes pouvaient survivre à Ebola. Nous ne sommes peut-être pas en mesure de sauver la vie de leur fœtus, mais nous pouvons sauver la leur. De toutes mes années chez MSF, c’est ce que j’ai connu le plus éprouvant mais aussi de plus gratifiant. »