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Yémen : « Des femmes enceintes et enfants malades arrivent si tard à l’hôpital que nous ne pouvons pas les sauver »

Dans le nord du Yémen, l'intensification du conflit au cours des dernières semaines a provoqué de nouvelles vagues de déplacements de population. Gisela Vallès, responsable de l'équipe médicale de Médecins Sans Frontières (MSF) à l'hôpital d'Abs, capitale d'un district du même nom dans le nord du pays, explique en cinq questions les défis et les obstacles rencontrés pour fournir une assistance à ces populations.

Des hommes et des enfants se rassemblent autour des bâtiments détruits de l'hôpital Abs à Hajjah, au Yémen, pour examiner les dégâts causés par la frappe aérienne de la coalition menée par le gouvernement saoudien le 15 août 2016. Cette attaque a tué 19 personnes et en a blessés des dizaines. © Rawan Shaif
Des hommes et des enfants se rassemblent autour des bâtiments détruits de l'hôpital Abs à Hajjah, au Yémen, pour examiner les dégâts causés par la frappe aérienne de la coalition menée par le gouvernement saoudien le 15 août 2016. Cette attaque a tué 19 personnes et en a blessés des dizaines. © Rawan Shaif

Comment le conflit affecte-t-il la population du district d'Abs ?

L’hôpital reçoit actuellement des blessés de guerre tous les jours. Entre août et septembre, nous avons reçu 362 blessés à l'hôpital de la ville d'Abs, soit plus de 40% des blessés que nous avons soignés en 2018 dans cet établissement. Beaucoup sont des civils pris dans le feu croisé de frappes aériennes et de missiles entre les parties en conflit. L'intensification des combats à environ 50 kilomètres au nord, dans la région de Beni Hassan, près de la frontière avec l'Arabie saoudite, a provoqué un nouveau déplacement massif de population. Depuis août, environ 20 000 personnes se sont installées dans d'autres zones de la région, en rejoignant plusieurs milliers d'autres. Il est difficile de les localiser car il n'y a pas de camps officiels pour les personnes déplacées. Elles sont dispersées dans une très grande zone. Certains groupes de personnes déplacées vivent sous des bâches en plastique qu’elles achètent ou que l’on leur a données. D'autres se sont mélangés avec la population locale. En tout état de cause, ils vivent tous dans des conditions très précaires.

Mohammad Ahmed docteur dans l'hôpital rural d'Abs.  ©M Sonia Verma, septembre 2017
Mohammad Ahmed docteur dans l'hôpital rural d'Abs.  ©M Sonia Verma, septembre 2017

Ont-ils accès aux services de santé ?

La majorité n'a pas accès aux services de santé car après plusieurs années de conflit, peu de centres de santé sont encore ouverts dans le district d'Abs. La plupart ne fonctionnent pas ou ne sont ouverts que quelques heures par jour avec juste une infirmière ou un personnel minimum, non rémunéré depuis plus de deux ans et qui travaille sans fournitures médicales adéquates. D'une part, le système de santé ne peut pas répondre aux besoins des personnes déplacées et d'autre part, nous sommes confrontés à de nombreuses restrictions pour pouvoir offrir une assistance dans ces endroits qui absorbent de nouvelles communautés déplacées. En septembre, notre équipe mobile n’a pu se rendre à la périphérie que sept jours par mois alors qu’elle était prête à partir tous les jours. De plus, la monnaie yéménite a perdu beaucoup de valeur au cours des dernières semaines et avec l’inflation, les coûts de carburant et de transport aussi, ce qui empêche une bonne partie de la population de se rendre à l’hôpital d’Abs. Il est important que les quelques acteurs médicaux qui soutiennent encore le ministère de la Santé sur le terrain obtiennent davantage d'accès pour répondre aux besoins de ces communautés déplacées vulnérables.

Quelles sont les conséquences de cette situation ?

Une des choses qui me frappent, c'est de voir de nombreux patients arriver trop tard à l'hôpital. Des femmes enceintes et des enfants malades arrivent si tard à l’hôpital que nous ne pouvons pas leur sauver la vie. Pratiquement aucune de ces femmes n'a reçu de soins prénatals car ce service est inexistant ou inefficace en dehors de la ville d'Abs. Elles arrivent avec des maladies pouvant être prévenues, telles que l'éclampsie et la pré-éclampsie, pour lesquelles des complications peuvent entraîner la mort de la mère. En fournissant des soins prénatals appropriés et en garantissant une naissance sans danger, nous pourrions réduire le risque de complications chez les nouveau-nés.

Une infirmière MSF en consultation lors d'une clinique mobile dans le district d'Abs. © Gonzalo Martinez, mars 2017
Une infirmière MSF en consultation lors d'une clinique mobile dans le district d'Abs. © Gonzalo Martinez, mars 2017

Comment nos équipes travaillent-elles pour agir à temps ?

Dans les zones où la sécurité et les autorités le permettent, nous avons un réseau d’agents de santé communautaires qui gère un système de référence pour les cas les plus graves. Actuellement, nous nous concentrons sur les endroits où des personnes déplacées se sont nouvellement installées et où les services les plus fondamentaux manquent. En septembre, 153 patients venus d'autres zones ont été dirigés vers l'hôpital Abs, soit 50% de plus par rapport à août, alors qu'en juillet, la situation était plus stable. On prévoit que, dans un futur proche, il y aura davantage de patients référés en lien avec l'intensification des hostilités.

La situation peut-elle empirer ?

L'intensification des combats dans la guerre [qui a commencé en mars 2015] sape la capacité des ONG sur le terrain à fournir des secours, des services d'eau et d'assainissement, de la nourriture... La forte inflation, liée à la dévaluation rapide du Ryial, les restrictions à l'importation, tout cela peut avoir un impact sur l'état nutritionnel de la population. Nous continuons à recevoir de nombreux cas de maladies facilement évitables telles que la diphtérie. Cela montre que la couverture vaccinale est de plus en plus affectée par l'impact de la guerre sur la détérioration du système de santé.

MSF au Yémen

MSF est une organisation médicale indépendante, neutre et impartiale qui travaille au Yémen pour aider les personnes touchées par le conflit de tous les côtés du front. MSF travaille dans 13 hôpitaux et centres de santé répartis dans le pays et apporte son soutien à plus de 20 hôpitaux ou centres de santé dans 12 gouvernorats : Abyan, Ad-Dhale ’, Aden, Amran, Hajjah, Hodeidah, Ibb, Lahj, Saada, Sana’a, Shabwa and Taiz.