La crise humanitaire au Mali en 5 questions
Alors que le Mali est déjà confronté à une crise politico-sécuritaire depuis 2012, la violence s’est intensifiée dans la région du centre ces derniers mois et affecte gravement la population civile. Cette insécurité qui touche de plus en plus de civils a engendré une crise humanitaire sans précédent. Patrick Irenge est le coordinateur médical pour MSF depuis septembre 2017 à Bamako. En 5 questions, il revient sur la situation préoccupante dans ce pays d’Afrique de l’Ouest et les besoins médicaux de la population.
1. Quelle est la situation aujourd’hui au Mali?
Au Mali, un climat de violence s’est désormais installé dans le quotidien des populations du centre et du nord du pays. Dans le centre, les incidents sécuritaires et les conflits intercommunautaires n’ont cessé de croître depuis plus d’un an ; les massacres du village d’Ogossagou en mars et dernièrement du village de Sobane en juin qui ont fait respectivement 160 morts et 35 morts, dont 24 enfants en sont la triste preuve. Il ne s’agit là que de deux exemples parmi une multitude d’autres. La région de Mopti est en effet aujourd’hui frappée de façon récurrente et à une fréquence quasi quotidienne par des attaques ou des violences. Le plus alarmant est que ces dernières affectent de plus en plus les populations civiles, créant ainsi un climat d’insécurité, de peur et de méfiance aux conséquences encore plus désastreuses.
2. Quels sont les plus grands besoins des populations vivant dans les zones les plus touchées ?
Une partie de la population est devenue quasi immobile par crainte des acteurs armés sur les routes. Par conséquent, des villages entiers sont littéralement enclavés : les habitants ne peuvent plus mener les activités économiques d’usage et n’ont plus accès aux soins de santé de base. Une autre problématique est le nombre croissant de déplacés internes ayant fui les violences. Ces personnes ont souvent tout laissé derrière elles et vivent dans des habitations de fortune ou dans des communautés hôtes, livrées à elles-mêmes et sans l’espoir d’un éventuel retour. Par conséquent, de manière générale, les besoins des populations affectées et déplacées sont nombreux : vivres, soins de santé, biens de première nécessité, abris, protection, accès à l’eau. Et malheureusement l’aide humanitaire est insuffisante car elle est très difficile à déployer de manière régulière, voire presque impossible dans les zones les plus reculées.
3. Que constatent les équipes médicales sur place ?
Il y a de nombreux signes alarmants. Un indicateur évident est l’arrivée tardive dans les structures de santé d’un grand nombre de patients qui attendent d’être gravement malades avant de se décider à consulter. Nous assistons également à une augmentation des cas de malnutrition directement liée à la baisse des activités économiques permettant de subvenir aux besoins. Un grand nombre de femmes enceintes ne consultent plus non plus dans les centres de santé pour le suivi de leur grossesse et sont souvent obligées d’accoucher à la maison, augmentant ainsi les risques de complications et de décès. Les enfants n’ont plus accès aux vaccinations de routine, ni aux autres traitements préventifs, tels que la prophylaxie saisonnière contre le paludisme. Ils sont ainsi dangereusement exposés à plusieurs maladies potentiellement mortelles. Dans certains villages reculés, nos équipes ont pris en charge des enfants qui n’avaient même jamais été vaccinés, ce qui laisserait supposer que certaines populations n’ont pas eu accès à une équipe médicale depuis des années. Il y a également une forte augmentation des troubles psychologiques liés aux violences.
4. Quelles est la réponse de MSF face à cette situation ?
A côté des structures médicales que nous appuyons, nous avons intensifié depuis mai 2018 nos activités ponctuelles de réponses aux urgences. Nous suivons en effet quotidiennement l’évolution des besoins dans le pays afin de détecter rapidement les mouvements de populations et autres situations graves. Ces interventions sont déployées à l’aide de cliniques mobiles lors desquelles nous fournissons généralement des soins curatifs, préventifs et psychologiques et, selon les besoins, à travers la distribution de biens de première nécessité. Ces interventions ciblées permettent de venir en aide aux personnes les plus vulnérables et de les protéger temporairement sur le plan sanitaire, malgré l’insécurité. C’est d’ailleurs une stratégie que nous utilisons également dans nos projets réguliers. Nous les appelons les cliniques « one-shot » : dès qu’une fenêtre sécuritaire s’ouvre, comme une accalmie temporaire dans une zone précise, nous déployons une équipe qui fournira le maximum de soins sur place. Parfois ce sont plus de 180 consultations qui sont réalisées en une seule journée.
Une autre stratégie a été d’impliquer davantage la communauté dans la prise en charge de certaines maladies, grâce à la formation d’agents de santé communautaire (ASC) et à la mise à disposition de médicaments. Ainsi pour les pathologies simples telles que le paludisme ou les diarrhées, les malades sont pris en charge au sein même des communautés. Les ASC sont également formés au suivi des grossesses et à la détection de la malnutrition et des signes de maladies graves, afin de référer à temps les cas vers les structures compétentes. Un autre volet important sur lequel nous focalisons nos efforts est la vaccination, car en situation de conflit elle permet de réduire fortement la mortalité infantile.
5. Quelles sont les plus grandes préoccupations de MSF pour les mois à venir ?
Notre appréhension aujourd’hui est que l’insécurité continue de s’intensifier et prive inévitablement d’accès aux soins de santé et aux biens de première nécessité de plus en plus de personnes. De plus, le Mali fait face de manière cyclique à un certain nombre de difficultés. Par exemple, la saison des pluies qui vient de débuter sera accompagnée de son lot de problèmes tels que le pic saisonnier de paludisme, les inondations, la détérioration des routes et donc de l’accessibilité des communautés. Il y aura aussi un risque en termes de vivres car l’insécurité a passablement restreint les activités agricoles. Les difficultés auxquelles sera confrontée la population malienne dans les mois à venir s’annoncent par conséquent plus graves que les années précédentes. Nos équipes se tiennent d’ailleurs prêtes à y répondre grâce au stock de matériel et de médicaments que nous avons pré-positionné en capitale et sur nos projets et à la présence d’équipes spécialisées dans les urgences.