Chaque jour, des milliers d'Ukrainien.nes arrivent en Slovaquie – traumatisé.es et épuisé.es
Lundi 14 mars 2022
Marta Wnorowska travaille actuellement à la frontière slovaco-ukrainienne en tant que coordinatrice de projet pour Médecins Sans Frontières. Dans cette interview, elle décrit la situation des deux côtés de la frontière.
Comment est la situation dans la ville ukrainienne frontalière d'Uzhhorod ?
Uzhhorod est une ville très proche de la Slovaquie, à seulement deux kilomètres. La ville est devenue une plaque tournante pour la distribution de l'aide humanitaire au reste de l'Ukraine. C'est un endroit relativement sûr pour le moment : une vie normale est possible, avec des gens dans les rues, pas de couvre-feu, des magasins ouverts. L'électricité, l'eau et d'autres services fonctionnent encore.
Parallèlement, l'atmosphère est inquiétante. Il y a des files d'attente devant les distributeurs automatiques de billets, certains produits se font plus rares dans les pharmacies et le son des sirènes d'alerte se fait parfois entendre. La ville comptait 100 000 habitants avant la guerre, mais le nombre de personnes a maintenant au moins triplé. Désormais, la ville est encombrée, avec des embouteillages, et les autorités craignent que les ressources ne se tarissent.
La communauté locale fait face un afflux de personnes déplacées à l'intérieur du pays, dont certaines ne font que s'arrêter avant de poursuivre leur voyage. Les personnes qui arrivent peuvent s'enregistrer et obtenir de la nourriture, des vêtements et une assistance médicale. Il n'y a pas encore de camps, donc les gens restent avec la communauté ; certain.es ont des parents, d'autres sont logé.es dans des hôtels ou des installations publiques. Certaines personnes passent du temps à la gare en attendant le prochain train ou que quelqu'un vienne les chercher. Certain.es y dorment même.
Les habitants d'Uzhhorod s'efforcent également de faire preuve de solidarité avec les citoyens des régions situées près des lignes de front en envoyant du matériel de secours.
L'hôpital régional de Transcarpathie, le principal hôpital d'Uzhhorod, compte 200 lits et est bien équipé, avec une capacité de soins spécialisés et chirurgicaux. Il se prépare à une réponse plus importante, en mettant 200 lits supplémentaires à disposition en cas d'afflux de patient.es. Il y a également une faculté de médecine à l'université, donc ils ont actuellement suffisamment de médecins et d'infirmiers.
Quelle est la situation à la frontière entre l'Ukraine et la Slovaquie ?
Il y a trois points de passage sur la frontière commune.
Vyšné Nemecké est le plus important : 70 % des personnes qui entrent en Slovaquie depuis l'Ukraine le font par là. C'est aussi le point de transit de la plupart des marchandises et des cargaisons.
Ubla, le deuxième, permet l'entrée des voitures et des personnes.
Slemense, le plus petit, sert uniquement au passage des piétons.
En moyenne, environ 10 000 personnes passent chaque jour en Slovaquie.
Marta Wnorowska, coordinatrice de projet MSF, revient sur la situation à la frontière : « En Ukraine, les files d'attente à la frontière peuvent atteindre environ trois kilomètres de long. 90% des personnes sont des femmes et des enfants, le reste est des personnes âgées. »
Les gens voyagent avec de petits bagages, très souvent un sac à dos, une petite valise de cabine ou un sac en plastique. On peut voir des mères portant de grosses vestes, certaines d'entre elles traînant des enfants ou des animaux domestiques. Les gens sont affamés, traumatisés et complètement épuisés, mais ils marchent rapidement, avec détermination et en silence, par des températures allant de -5 à 10 degrés.
La première vague de réfugié.es est venue des régions du nord du pays comme Kyiv ou Kharkiv, ou des villes de l'est comme Marioupol. Les gens se sont déplacés principalement en voiture et en train. Dans les premiers jours, on pouvait voir des gens voyager avec des voitures plus spacieuses, mais aujourd'hui, leur profil a changé : les gens semblent plus vulnérables et parcourent de nombreux kilomètres à pied dans des conditions difficiles.
Que se passe-t-il lorsque les gens passent en Slovaquie ?
Du côté slovaque, de nombreuses ONG locales et internationales, ainsi que de nombreux bénévoles, accueillent les réfugié.es et leur offrent de la nourriture et des vêtements. Il y a aussi beaucoup de membres des forces de sécurité qui aident les gens. Les pompiers sont également très impliqués et gèrent généralement la logistique, comme la coordination des ambulances ou l'aide aux personnes qui se dirigent vers d'autres pays.
Dans la ville de Humenne, il existe un centre de transit pouvant accueillir 200 réfugié.es, mais les gens n'y restent pas longtemps. La plupart poursuivent leur voyage vers d'autres pays européens, tandis que certains citoyen.nes non européen.nes sont rapatrié.es sur des vols organisés par leur gouvernement. Il existe une communauté ukrainienne en Slovaquie, de sorte que certaines personnes sont hébergées dans des familles d'accueil et d'autres chez des Slovaques qui proposent un hébergement. Au fur et à mesure de l'arrivée de nouveaux arrivant.es, le gouvernement slovaque prévoit d'assurer des places supplémentaires car la prochaine vague de réfugié.es pourrait ne pas disposer des mêmes ressources et relations.
Comment MSF apporte-t-elle son soutien ?
Notre première équipe d'urgence est arrivée en Slovaquie début mars et, après une première évaluation, nous collaborons désormais avec le ministère de la Santé pour soutenir la réponse. Nous négocions également un protocole d'accord pour pouvoir importer du matériel médical et travailler dans le pays.
Pour l'instant, les besoins humanitaires et médicaux critiques sont couverts par les autorités locales et la société civile. Notre approche consistera donc à combler les lacunes au fur et à mesure que la situation deviendra plus accablante. Nous prévoyons qu'une équipe mobile assure une surveillance régulière à la frontière, offrant un soutien en matière de santé mentale, facilitant les orientations d'urgence et prenant soin des personnes les plus vulnérables.
Du côté ukrainien, nous envisageons d'établir une base à Uzhhorod et de continuer à évaluer l'évolution de la situation sur place. Nous nous intéressons également à des zones telles que la ville d'Ivano-Frankvisk, d'où nous pourrions surveiller, évaluer et intervenir dans tout le sud-ouest de l'Ukraine.
Le plus gros problème pour le système de santé à l'heure actuelle est la rupture potentielle des fournitures médicales essentielles. À Uzhhorod, il manque déjà des articles comme l'insuline, les narcotiques et les sédatifs qui ont été redirigés vers d'autres endroits du pays directement touchés par les combats.