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« Les promoteurs de la santé font le lien entre la population locale et MSF »

Jesse Verschuere, originaire de Flandre occidentale, travaille chez Médecins Sans Frontières (MSF) depuis huit ans déjà. Il a assumé différentes fonctions dans 13 pays, dont celles de promoteur de la santé, anthropologue, promoteur de santé senior et coordinateur de projet. Depuis avril 2018, il est « health promoter advisor ». Il nous explique en quoi consiste la fonction de « health promoter » ou promoteur de santé.

Que fait un promoteur de la santé sur le terrain exactement ?

Les activités de promotion de la santé visent à modifier les comportements des patients liés à leur santé . En diffusant des informations correctes à travers des campagnes de sensibilisation dans les villages, nous évitons la propagation de certaines maladies. Et en recueillant des informations, nous en apprenons davantage sur la façon dont nos services sont perçus et sur les besoins de la population. On peut véritablement parler d’une interaction entre la communauté locale et le personnel de MSF.

Le fait d’encourager la population à se faire soigner est un volet essentiel du travail de promotion de la santé, mais nous devons aussi être critiques quant à la qualité de nos soins et à la façon dont nous communiquons avec nos patients. Si notre hôpital est situé dans une région très difficilement accessible, par exemple, l’accès aux soins en sera plus compliqué. Les femmes peuvent également continuer à accoucher à domicile car elles ne sont pas conscientes des avantages d’un accouchement médicalisé ou parce que la tradition le leur impose.     

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Pouvez-vous nous donner un exemple ?

En tant qu’organisation internationale, nous sommes conscients que nous sommes des « étrangers ». Un véritable changement ne peut être imposé, il doit être soutenu par la communauté locale. Le compromis est ici central : nous dispensons des informations factuelles, mais tenons aussi compte de la sensibilité de la population locale.

La collaboration avec les guérisseurs locaux est un bon exemple. Au Cambodge, les guérisseurs s’occupent des causes spirituelles des maladies. Ces perceptions des maladies, de la santé et du corps ne correspondent pas à l’approche biomédicale de MSF, mais elles sont néanmoins très importantes aux yeux de la population.

La plupart de ces méthodes traditionnelles ne sont pas nuisibles d’un point de vue biomédical, donc nous ne nous y opposons pas. Nous indiquons aux patients qu’une maladie peut être considérée sous différents angles et que la spiritualité peut en faire partie. Il est ainsi plus facile pour eux d’accepter nos médicaments ou notre traitement. Dans le cas de pratiques culturelles néfastes, comme les mutilations génitales féminines (MGF), notre approche est un peu moins souple, mais le dialogue reste ici aussi central : nous écoutons les préoccupations de la population et sa perception des avantages (sociaux), mais tordons aussi le cou aux mythes sur l’origine de cette pratique et insistons sur ses conséquences graves pour la santé. En mettant le sujet sur la table, nous incitons la communauté à y réfléchir de manière critique, ce qui facilite les compromis.

Rechercher des compromis

« Un véritable changement ne peut être imposé, il doit être soutenu par la communauté locale. »

Comment un collaborateur international, qui ne connaît pas toujours bien la culture locale, contribue-t-il à la promotion de la santé ?

En tant qu’expat, on est responsable de toute l’équipe de promoteurs de la santé, qui est répartie en plus petits groupes gérés par des supervisors. En tant qu’étranger, votre rôle est de soutenir ces superviseurs nationaux et parfois aussi de les protéger. Les équipes comptent toujours des membres de différents groupes ethniques et religieux, ce qui cause parfois des tensions. Vous êtes responsable des décisions finales, des évaluations et parfois aussi du recrutement de promoteurs de la santé locaux.

Vous n’effectuez pas leur travail, mais vous aidez votre équipe à réfléchir de manière stratégique à la promotion de la santé, notamment en prenant d’autres équipes comme exemple, en aidant votre équipe à resituer certaines choses dans leur contexte, en encourageant la créativité, etc. Un autre aspect important consiste à veiller à ce que la stratégie de promotion de la santé soit intégrée dans la stratégie médicale, en vous concertant avec le personnel médical bien entendu, mais aussi avec les project managers de la mission.

Quelle a été votre meilleure mission et pourquoi ?

L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014, car les health promoters ont réellement sauvé des vies. Dans ce contexte, la prévention était plus importante que le traitement, car la situation était presque hors de contrôle. Au début, le centre de traitement d’Ebola de MSF dans la ville de Foya, au Libéria, fonctionnait en vase clos. La communication sur le traitement et l’état des patients n’était pas très transparente, ce qui a renforcé la méfiance de la communauté et a favorisé l'émergence de rumeurs sur ce qui se passait à l'intérieur. Les familles de nombreux patients étaient furieuses.

Les promoteurs de la santé ont travaillé sans relâche pour permettre des visites familiales – de part et d’autre de clôtures –, arranger des discussions téléphoniques, communiquer de manière transparente avec la population, donner des explications quant à la zone d’isolement… et ainsi préserver la dignité des patients. Après quelques mois seulement, nous avons enregistré les résultats espérés : la confiance de la communauté et sa collaboration. Les villages ne se repliaient plus sur eux-mêmes et des cas nous étaient activement transférés. Les patients venaient se présenter d’eux-mêmes au lieu de nous fuir.

Endiguement d’Ebola en 2015

« Après quelques mois seulement, nous avons enregistré les résultats espérés. Les villages ne se repliaient plus sur eux-mêmes et des cas nous étaient activement transférés. Les patients venaient se présenter d’eux-mêmes au lieu de nous fuir. »

Vous aviez 25 ans lors de votre première mission. C’est assez jeune pour exercer une fonction de superviseur.

En effet ! Ma première mission s’est déroulée en Haïti, six mois après le séisme de 2010. Je devais soutenir les équipes de promotion de la santé dans trois projets, mais les collaborateurs nationaux m’ont en réalité appris beaucoup plus que ce que je n’ai pu leur apporter moi-même. Deux mois plus tard, une épidémie de choléra a éclaté et j’ai dû mettre sur pied très rapidement une action d’information pour limiter l’épidémie. Ma mission s’est donc transformée en intervention d’urgence face à l’une des plus graves épidémies de choléra à ce jour. Un départ sur les chapeaux de roues lors duquel j’ai tout de suite dû prouver ma flexibilité !

En quoi consiste désormais votre fonction de « référent technique » ou « advisor » ?

J’occupe ce poste depuis avril 2018, en grande partie depuis nos bureaux aux Liban. Je suis les activités de promotion de la santé d’une cinquantaine de projets. Je soutiens tous les promoteurs de la santé nationaux et internationaux en travaillant à une politique de promotion de la santé, à une méthodologie et à des procédures standard. Je leur donne du feedback sur leurs stratégies et j’effectue de temps en temps une visite de terrain pour observer le déroulement de leurs projets.

Les expats ont souvent des questions pratiques : quelle est notre approche par rapport aux accoucheuses traditionnelles ; avez-vous des exemples d’outils utilisés pour la prévention du choléra ? Le soutien que je leur fournis s’appuie, d’une part, sur mon expérience et sur la capitalisation de l’expérience d’autres promoteurs de la santé et, d’autre part, sur l’interaction avec d’autres advisors qui travaillent dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive, de la malnutrition, des maladies chroniques, etc.

De quelles qualités un promoteur de la santé chez MSF doit-il disposer ?

Sur le terrain, les thèmes sont de plus en plus complexes : antibiotiques pour traiter la tuberculose résistante, violences sexuelles, VIH-sida, troubles mentaux… C’est pourquoi il est essentiel que les candidats à ce poste aient deux ans d’expérience pertinente. Il faut également être flexible et pragmatique. Si vous être trop académique ou n’arrivez pas à sortir du cadre théorique, vous aurez des difficultés à mettre en œuvre votre stratégie. Bien sûr, il faut aussi être très motivé par l’humanitaire.

Y a-t-il des possibilités d’évolution ?

Bien sûr ! Les promoteurs de la santé sont très compétents en matière d’analyse du contexte – une bonne base pour devenir coordinateur de projet ou chef de mission. L’expérience de la gestion de grandes équipes et la capacité à travailler de manière indépendante sont aussi des atouts dont disposent les promoteurs de la santé.

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