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Une voix du bunker, récit de Camille Marquis, responsable plaidoyer chez MSF

Samedi, lorsque j'ai entendu les premiers coups de feu à l'extérieur, vers 8h30, alors que je prenais mon petit-déjeuner, j'entamais ce que je pensais être ma dernière journée à Khartoum. Mes bagages étaient prêts, mon réfrigérateur et mes placards vidés, et je n'avais plus que quelques heures à attendre avant de me rendre à l'aéroport pour rentrer chez moi après une année passée au Soudan. 

Rapidement, nous sommes tous descendus dans la salle sécurisée de notre maison d'hôtes, au sous-sol. J'y ai passé la journée, assise par terre, avec plus de dix collègues, sursautant au son des tirs nourris, des avions de guerre volant à basse altitude et des détonations consécutives aux frappes aériennes. Le son résonnait dans la pièce, les murs et les fenêtres tremblaient. Le silence suivait souvent une explosion, mais il ne durait jamais longtemps. 

AZG-bunker in Khartoem
MSF-bunker à Khartoum. Avril 2023 © Camille Marquis

Cette première nuit, dormant sur le sol entouré de mes collègues, alors que j'étais censé être à l'aéroport et rentrer chez moi, j'ai pensé aux personnes bloquées à l'intérieur de l'aéroport, où de violents combats se déroulaient. J'aurais pu être l'une d'entre elles. Certains ont été blessés et n'ont pas pu quitter l'aéroport pour être soignés. Je pensais aussi à tous mes collègues soudanais et plus généralement aux habitants de Khartoum qui, contrairement à moi, n'ont pas eu la chance de dormir dans un bunker, avec des réserves de nourriture et d'eau. C'est maintenant le sixième jour de combats dans les rues de Khartoum, ville densément peuplée d'environ 10 millions d'habitants, et les gens manquent de nourriture, d'eau, de carburant, prenant de grands risques pour s'approvisionner dans des magasins déjà confrontés à des pénuries. 

Entendre les fracas des destructions, se rendre compte des pertes humaines, des blessés et des malades ne pouvant se rendre dans un hôpital ou une clinique fonctionnelle, même dans la capitale Khartoum, me rend incroyablement triste pour le Soudan et pour son peuple, pris dans des combats entre les forces armées de leur propre pays. Les gens luttent pour obtenir de la nourriture, de l'eau, des médicaments, des soins de santé... et ce ne sont que les premiers jours. Les impacts de ces combats sur les besoins humanitaires, déjà importants, seront absolument dramatiques. 

Afgedwaalde kogel

Depuis un an, j’analyse les besoins humanitaires au Soudan et je documente l'impact de l'absence de réponse à ces besoins sur la santé et la nutrition des Soudanais, en particulier des enfants. Nous venons de publier une note d'information afin de tirer la sonnette d'alarme sur les besoins désastreux des populations vivant dans l'ouest du Darfour, appelant les acteurs humanitaires et les donateurs à intensifier la réponse et à soutenir le système de santé soudanais, déjà impacté.  

Parmi mes collègues actuellement réfugiés à Khartoum, une infirmière et une infirmière formatrice devaient s'envoler pour El Geneina, dans l'ouest du Darfour, pour travailler à l'hôpital soutenu par MSF et traiter les enfants gravement malades et malnutris. Le psychologue de MSF qui travaille à l'hôpital d'El Geneina est également bloqué à Khartoum. En raison du conflit, ils risquent de ne pas pouvoir y retourner de sitôt et d’effectuer leur travail humanitaire. Les équipes du Darfour-occidental font état d'un nombre anormalement faible de patients dans les services, probablement parce que les gens craignent de quitter leur maison et de se rendre à l'hôpital dans un contexte de sécurité aussi instable. L'année dernière, à El Geneina, le pic de malnutrition a commencé début mai, soit dans dix jours. 

Si les travailleurs humanitaires et sanitaires ne peuvent pas continuer à travailler en toute sécurité - pour fournir des soins de santé et une assistance alimentaire - et si les patients ne peuvent pas accéder aux services de soins de santé et atteindre un hôpital sans crainte, des millions d'enfants et d'autres personnes vulnérables au Soudan risquent d'avoir de graves problèmes de santé. 

Un tiers de la population soudanaise était déjà en situation d'insécurité alimentaire avant le conflit actuel. Nous ne pouvons que nous attendre à ce que la situation empire, partout au Soudan.  

MSF continue de fournir des soins médicaux au Soudan dans la mesure du possible ; cependant, de nombreux membres du personnel ne peuvent actuellement pas se déplacer en raison des combats intenses dans la capitale, Khartoum, et dans l'ensemble du pays. La sécurité de notre personnel et de nos patients est notre priorité absolue, et nous soutenons les membres du personnel en fonction de leur situation spécifique. Nous appelons toutes les parties au conflit à garantir la sécurité du personnel médical, des patients et des établissements de santé, et à permettre le passage en toute sécurité des ambulances, des travailleurs sanitaires et humanitaires, et des personnes à la recherche de soins de santé. Ces dernières années, nous avons mené des projets dans les États de Khartoum, Gedaref, Kassala, Nil Bleu, Nil Blanc, Darfour Nord, Darfour Est, Darfour Ouest, Darfour Sud et Darfour Central, et des équipes d'urgence ont lancé des activités dans d'autres États en fonction des besoins.