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Ukraine : « J'ai vu la détresse, le manque d'espoir, la confusion et l’incompréhension »

Depuis que la guerre a éclaté en Ukraine, des milliers de personnes dorment dans le métro de Kharkiv. Le Dr. Morten Rostrup fait partie des équipes MSF qui leur offrent une assistance médicale. Il témoigne des traumatismes que nombre d’entre eux et elles ont vécus et des difficultés auxquelles font face les personnes atteintes de maladies chroniques.

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Un homme est assis sur un banc du métro de Kharkiv, en Ukraine, où vivent maintenant les habitant.es, qui se cachent des bombardements. © Adrienne Surprenant  - 11 avril 2022

« La situation à Kharkiv est très difficile. Les frappes aériennes sont toujours quotidiennes. Certaines parties de la ville ont été rasées. La moitié de la population, comptant 1,5 million d'habitant.es, a fui. Certain.es ont choisi de rester, d'autres n'ont pas pu fuir par manque d'argent, de parents ou d'autres contacts, ou tout simplement parce qu'iels étaient trop agé.es ou trop malades pour voyager. Certaines des personnes que nous avons rencontrées nous ont dit qu'elles préféraient mourir dans leur propre ville. Beaucoup de gens ont perdu leur maison, surtout dans la partie est de la ville.

kharkiv métro ukraine
Ludmilla prend son fils de 11 ans dans ses bras. Tous deux habitent une station de métro de la ville de Kharkiv. © Adrienne Surprenant - 11 avril 2022

Je me souviens d'une jeune femme qui était assise sur un banc en face de moi dans l'une des stations de métro de Kharkiv. Depuis que la guerre a éclaté, les stations servent d'abris et des milliers de personnes dorment sur les quais et dans les wagons. Cette femme est sortie de son lit lorsqu'une roquette a frappé son immeuble. Elle a vu sa tante se faire tuer à quelques mètres d'elle. Elle ne pouvait pas en parler mais a éclaté en sanglots en baissant le regard. Elle était toute tremblante. Ce soir-là, elle n'était pas la seule à chercher à se faire soigner.  Il y en avait beaucoup d'autres. 

Une fillette de sept ans, faisait constamment des cauchemars, avait peur de s'endormir. Beaucoup ressentaient des douleurs physiques qu'iels ne pouvaient pas expliquer. D'autres avaient l'impression de ne pas pouvoir respirer. Une femme dont la tension artérielle était très élevée risquait de faire une attaque. Un vieil homme m'a montré des photos de ses trois petits-enfants. L'un des enfants avait été tué dans une attaque aérienne deux jours plus tôt, les deux autres étaient à l'hôpital, l'un d'eux gravement blessé. Le père des enfants a également été tué. Le vieil homme avait subi une attaque et souffrait d'hypertension. Il ne pouvait pas dormir.

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Nina, 83 ans, attend d'être soignée par la clinique mobile de MSF dans l'une des stations de métro de  Kharkiv, en Ukraine, le 11 avril 2022. © Adrienne Surprenant - 11 avril 2022

J'ai fait de nombreuses rencontres émouvantes avec différentes personnes au cours de ces dernières semaines. Notre équipe se déplace d'une station de métro à l'autre. Le soir, nous effectuons des dizaines de consultations médicales avant de sortir nos sacs de couchage et de passer la nuit sur place.

J'ai vu la détresse, le manque d'espoir, la confusion, l'incapacité à comprendre comment iels en sont arrivé.es là : perdre des membres de leur famille et des amis, perdre leur maison, perdre l'avenir qu'ils avaient envisagé. J'ai vu la peur constante vécue par tant de personnes. J'ai aussi vu comment certains s'effondraient de terreur lorsque éclatait dans les airs le bruit des frappes aériennes.

Avant de me rendre à Kharkiv, j'ai passé quelques jours dans la ville de Vinnytsia, qui est située loin de la ligne de front. Nous voulions entrer en contact avec des psychologues ukrainien.nes qui pouvaient aider les personnes déplacées (dont beaucoup souffrent de traumatismes psychologiques), transitant par Vinnytsia pour trouver refuge à l'étranger.

C'est alors que j'ai rencontré Olena, une psychologue ukrainienne. Son regard était vide pendant notre conversation. Elle avait des membres de sa famille dans la ville assiégée de Marioupol et avait très peu de nouvelles d'eux. Olena m'a expliqué qu'elle ne pouvait plus  travailler en ce moment. Avant la guerre, elle avait travaillé comme psychologue clinicienne et traitait des patient.es ayant des problèmes personnels. « Les patient.es ont cessé de venir, m'a-t-elle confié. Les problèmes qu'iels avaient avant semblent si petits maintenant. » En me regardant, elle ajouta : « Je suis heureuse de vous rencontrer. Vous êtes si calme. Vous n'avez pas le stress et les soucis que nous avons. Le fait que vous soyez là a un effet apaisant sur nous .»

J'ai travaillé dans de nombreuses crises et zones de guerre. Mais je n'ai jamais entendu dire aussi explicitement que notre présence avait un impact aussi fort sur les gens. Le travail humanitaire ne se limite pas à l'aide concrète que nous apportons sous forme de médicaments et de traitements. C'est aussi la manière dont des personnes venant d'autres pays accompagnent celles et ceux qui vivent cette crise en première ligne. Notre présence peut apporter l'espoir, la paix et un sentiment de sécurité. C'est le symbole concret de notre engagement. Nous sommes là en tant qu'êtres humains, engagés au plus près. Ils ne sont pas oubliés.

Je ne sais plus combien de poumons j'ai écoutés, de gorges que j'ai regardées et d'estomacs que j'ai sentis. Non pas que je soupçonnais un problème particulier mais je savais qu'un examen approfondi et une conversation rassuraient les patient.es. Leur niveau de stress est si élevé qu'un simple petit symptôme peut provoquer une anxiété importante chez certains patients. Une fois que  je les avais rassurés en leur disant que tout allait bien pour eux, ils me remerciaient. J'ai vu le soulagement dans leurs yeux. La peur de tomber malade dans de telles circonstances est un fléau pour beaucoup, surtout pour les patient.es atteint.es de maladies chroniques.

Il est facile d'oublier ces victimes de la guerre, ces personnes souffrant de problèmes mentaux croissants ou de maladies chroniques. Lorsqu'une guerre éclate et qu'un suivi médical n'est plus possible, ces maladies peuvent être dévastatrices. Il y a des patient.es atteints de maladies cardiovasculaires, de maladies pulmonaires, d'épilepsie, de diabète, de cancer. Certains meurent - dans des contextes de guerre particuliers -, et ils peuvent s'avérer être plus nombreux que ceux qui décèdent de blessures causées directement par la violence de la guerre. D'autres doivent  fuir vers un endroit où ils peuvent obtenir les soins médicaux dont ils ont besoin, de préférence vers un autre pays.

Pourtant, il est encourageant de voir comment les gens ici s'entraident. À chaque station de métro, de petites communautés se sont développées. Les personnes qui s'y réfugient se connaissent bien. Des groupes de bénévoles s'efforcent de fournir à chacun de la nourriture et de l'eau. Dans l'une des stations, un étudiant en médecine gère une petite clinique ambulatoire et une pharmacie. Les toilettes sont nettoyées. Chacun à Kharkiv aide à sa manière. Une partie de l'aide provient également de l'étranger. Nous constatons un très fort sentiment d'unité. Mais six semaines c'est long, surtout quand on ne voit pas de solution dans un avenir proche. »​​​​​​​