L’exil des mineurs non accompagnés en Belgique

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Seuls, jeunes et en fuite : Abdul et Daniel capturent en images l’exil des mineurs non accompagnés en Belgique

Derrière l'objectif d'un appareil photo jetable

Deux jeunes mineurs non accompagnés, accueillis dans des centres d’hébergement à Bruxelles et suivis par MSF, ont capturé leur quotidien. À travers leurs clichés, ils nous livrent une réalité souvent invisible, faite de peur, de solitude, mais aussi d’espoir. Nous avons choisi de leur laisser la parole, sans filtre.

Appareil photo jetable

ABDUL, MINEUR, ORIGINAIRE D’ETHIOPIE

Abdul photo 1

Cela s’est passé en Libye. J’ai fui l’Éthiopie pour le Soudan, puis du Soudan je voulais aller en Égypte, mais des passeurs m’ont attrapé en chemin et m’ont emmené en Libye à la place. Je voulais aller en Europe, mais je n’avais de l’argent que pour que les passeurs m’amènent en Égypte. La cicatrice dans mon dos, je l’ai eue à cause des passeurs qui m’ont frappé avec un bâton parce que je ne pouvais pas payer.

Plonger plus loin dans son histoire
Abdul photo 2

La cicatrice sur mes genoux, je l’ai eue à cause de gouttes de plastique fondu. Je suis resté en Libye pendant 3 ans. Comme je ne pouvais pas payer, ils m’ont laissé dans un local où ils rassemblaient toutes les personnes. On était enfermés dans ce local, des gens y mouraient. Plus tard, la police est venue nous libérer de là. Ensuite, ils m’ont mis en prison pendant 2 mois. J’avais 14 ans à l’époque. Mais là-bas, ton âge ne compte pas, ils veulent juste ton argent,. La seule chose gratuite en Libye, c’est la mort. J’ai finalement été libéré plus tôt parce que je suis tombé malade.

Abdul photo 3

Quand je vois le drapeau européen et le drapeau belge, ça me rend heureux. Comparé à ma vie d’avant, c’est beaucoup mieux, mais en même temps ce n’est pas vraiment comme je l’avais imaginé. Je m’attendais à un endroit avec plein d’opportunités, mais j’ai été choqué de voir des personnes sans-abri ici. Pourtant, je me suis dit « tu y es arrivé ». Il y a eu des moments dans ma vie où je ne pensais pas survivre, alors je suis content d’être ici. Quand je compare la Belgique à l’Italie, la Belgique est bien mieux. Je me sens en sécurité ici. C'est comme le ventre d’une mère.

Je n'ai pas les mots pour décrire ce qui m'est arrivé.
Mais je suis chanceux, comparé à certains de mes amis.
Je souhaite avant tout rester stable pendant un moment.
Mon rêve est de devenir écrivain un jour.

DANIEL, MINEUR NON ACCOMPAGNÉ, ORIGINAIRE D’ERYTHRÉE

Daniel photo 1

Je suis fasciné par l’environnement urbain de Bruxelles, différent de ce à quoi j’étais habitué. Quand j’étais dans mon pays, je n’aurais jamais pensé finir dans un centre d’asile comme celui-ci. Je souhaitais une bonne vie pour moi-même, mais j’ai dû fuir au Soudan. Au Soudan, c’était très difficile et j’avais aussi des problèmes de santé. J’avais besoin de soins, mais je ne pouvais pas les obtenir. J’ai ensuite fui en Libye où j’ai dû cacher mon identité et prétendre être quelqu’un d’autre (un autre nom, une autre religion) – j’avais peur d’être arrêté par les autorités, qui demandent ensuite beaucoup d’argent. Je ne me suis pas fait attraper, mais ça a été très dur pour ma santé mentale.

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Daniel photo 2

Je suis devenu suicidaire parce que je ne pouvais pas être moi-même, j’avais des problèmes médicaux qui n’étaient pas correctement soignés et je n’avais ni amis ni famille autour de moi, mais j’ai tenu bon. Après ça, j’ai fui en Italie pour obtenir des soins médicaux là-bas, malheureusement ce n’était pas le cas. Finalement, je suis arrivé en Belgique, ça fait maintenant 3 mois que je suis ici, mais j’ai encore du mal à obtenir les soins médicaux adaptés.

Daniel photo 3

Autour de mon cou, je porte un collier avec une croix qui signifie beaucoup pour moi. On m’a déjà forcé à enlever cette croix. Quand j’ai été secouru sur le bateau de la Libye vers l’Italie, un travailleur humanitaire m’a offert un collier avec une croix, que je porte encore. Pour moi, cela symbolise mon identité, et le fait d’avoir dû jeter mon premier collier juste pour survivre est une réalité très douloureuse.

Daniel photo 4

Dans un parc où je vais souvent, j’ai vu beaucoup de familles jouer ensemble. Je regrette de ne pas avoir eu moi-même une enfance comme ça à cause des difficultés dans ma vie — « pourquoi mes parents n’ont-ils pas pu aussi bien s’occuper de nous et jouer avec moi ? » je me demande.

Cela me rappelle ma ville natale où c’est aussi vert en été.
Ça me ramène des souvenirs positifs de là d’où je viens.

Belgique, un système qui les abandonne

La Belgique est à la fois un pays de destination finale et de transit pour les personnes en demande d’asile et migrantes – y compris des enfants. Quelque 3.500 mineurs étrangers non-accompagnés (MENA) erreraient actuellement dans le pays, selon les estimations officielles.

Compte tenu de leur âge et de leur situation, sans la protection d’une personne adulte, les mineurs étrangers non-accompagnés sont très vulnérables et confrontés à un large éventail de problèmes :

  • Accès limité aux ressources
  • Défis juridiques et administratifs
  • Problèmes de santé : malnutrition, tuberculose, absence de vaccination
  • Troubles post-traumatiques, dépression, tentatives de suicide
  • Risque d'exploitation et de violences
En savoir plus sur la politique de non-accueil en Belgique

La Belgique applique une véritable politique de « non-accueil », en vertu de laquelle les demandeurs de protection internationale n'ont plus accès à ce à quoi ils ont droit, notamment un accueil, des soins médicaux et la protection. Les hommes célibataires se sont vu refuser l'accès à un accueil, l'idée étant que l'État pouvait alors donner la priorité aux femmes, aux enfants et aux familles. Aujourd'hui, même ces groupes ne sont plus assurés d'avoir un accueil, et tout le monde risque de se retrouver à la rue. Alors que l'on parlait autrefois d'une « crise de l'accueil », force est de constater qu'il ne s'agit pas d'une crise, mais d'une politique délibérée menée par le gouvernement, qui refuse aux demandeurs d'asile l'accès à leurs droits, dans l'espoir qu'ils renoncent à rester en Belgique et dissuadent d'autres personnes de venir s'installer dans notre pays.

Que fait Médecins Sans Frontières ?

Santé physique

Nos médecins organisent chaque semaine des consultations médicales individuelles dans les centres d’accueil pour mineurs non accompagnés. Ils assurent aussi un soutien à distance aux infirmiers présents sur place.

  • 674 consultations menées en 2024
  • 175 consultations au 1er trimestre 2025
  • Pathologies fréquentes : maladies de la peau (21%), infections respiratoires (17%), troubles gastro-intestinaux (14%)

Promotion de la santé

Six agents de santé communautaire – originaires du Burundi, d’Algérie/Maroc, d’Éthiopie et d’Érythrée – animent des séances d’information dans 8 langues (français, anglais, arabe, swahili, tigrinya…)

  • 50 séances en 2024, ayant touché 600 mineurs
  • 18 séances au 1er trimestre 2025, pour 186 mineurs

Partenariats

MSF a ouvert un centre d’accueil en 2022. Il est aujourd’hui géré par le Samusocial et BelRefugees, avec qui nous collaborons pour maintenir une clinique de santé destinée aux adolescents.

Lire le rapport MSF « Politique de non-accueil »

L’enfer du parcours migratoire en Libye

En Libye, les personnes migrantes et réfugiées sont enfermées dans des centres non officiels, souvent victimes de violences extrêmes et privées de soins de santé.

Les personnes migrantes et réfugiées sont enfermées dans des centres non officiels, souvent victimes de violences extrêmes et privées de soins de santé.

En savoir plus sur les violences

La violence aveugle est souvent utilisée de manière excessive comme forme de punition, pour ne pas obéir aux ordres, pour compléter la nourriture, pour demander une assistance médicale, comme moyen de contrôle des foules ou pour se venger des tentatives d'évasion. Des témoignages font état de personnes battues à l'aide de câbles électriques, de tubes en plastique, de matraques, etc.

La violence sexuelle n'est pas non plus ignorée. Les viols et les agressions sont monnaie courante, mais le recours à l'exploitation sexuelle pour « améliorer » les conditions de vie est également fréquent. Personne n'est épargné par la violence.

Les réformes actuelles présentées dans le pacte européen sur l'immigration et l'asile ne font que renforcer un réseau de violence qui vise à dissuader et à exclure les personnes en quête de sécurité.

Lire le rapport « Death, Despair and Destitution : The Human Costs of the EU’s Migration Policies”

Traversées mortelles : état des lieux des sauvetages en Méditerranée centrale

Comme Daniel, des milliers de personnes tentent chaque année de traverser la mer Méditerranée pour trouver sécurité, accueil et protection.

De nombreuses organisations, dont MSF, ont envoyé des navires de recherche et de sauvetage (SAR) pour porter secours. Depuis 2015, MSF a sauvé plus de 94 000 personnes. Son dernier navire, le Geo Barents, affrété en 2021, a :

  • Secouru 12 675 personnes
  • Vu naître un bébé à bord
  • Repêché 24 corps sans vie
En savoir plus sur les entraves au sauvetage

L'UE et les États membres ont mis en place des politiques d'externalisation afin d'empêcher les arrivées de migrants sur les côtes européennes, au prix d'interceptions plus nombreuses et plus meurtrières par procuration en Libye et en Tunisie. L'Italie a également mis en place une législation stricte interdisant aux navires de sauvetage civils de mener des activités de sauvetage. De nombreux navires, dont le Geo Barents, ont dû s'arrêter. Le retrait orchestré des navires de recherche et de sauvetage (SAR) de la Méditerranée centrale coupe une ligne de vie pour les survivants fuyant l'horrible violence en Libye.

Lire le rapport : Deadly Manoeuvres: Obstruction in the Central Mediterranean

Cet article vous a touché ? Vous souhaitez en faire plus pour les migrants en Belgique ? Rejoignez-nous ! Nous recherchons encore un(e) infirmier(ère) pour notre centre d’accueil à Bruxelles. Consultez le poste ouvert : ‘Nurse – Belgian projects’