« Je travaille à la maternité de Gbaya Ndombia depuis son ouverture début 2016. En tant que sage-femme assistante, je suis responsable du bien-être des mamans lorsqu’elles sont en travail et durant l’accouchement. Je m’occupe également de la santé du bébé après sa naissance. Je nettoie le nouveau-né, je contrôle sa respiration, je l’habille et le donne à sa maman. C’est un moment très spécial pour la femme et son enfant, et c’est aussi un plaisir pour moi de prendre part à ce moment.
J’avais l’ambition depuis la première classe primaire de devenir sage-femme. Ma voisine était sage-femme diplômée et je l’ai beaucoup admirée. Après être devenue assistante, je me suis inscrite à l’université pour approfondir mes connaissances. Mais depuis la crise de 2013, je ne peux pas me rendre à la faculté. Je suis musulmane, j’ai peur de sortir de mon quartier PK5[1]. Les gens peuvent deviner que je fais partie de cette communauté à travers ma façon de me comporter et de m’habiller. Quand je sors de PK5, je me sens menacée. Je ne le fais pas souvent par peur d’être harcelée ou agressée. L’université est à 4km d’ici, donc elle n’est pas loin du tout, mais la peur, le stress que je ressens m’empêchent d’y aller. Les femmes du quartier ont la même difficulté : elles ont du mal à sortir pour avoir des soins de qualité. C’est pour cela que MSF a ouvert cette structure à Gbaya Ndombia.
Nuit du 30 octobre: il y avait du sang partout
Dans la nuit du dimanche 30 octobre, j’étais en repos à la maison avec les enfants. On a entendu des bruits, des tirs partout aux environs de 17h. Après les coups de feu, c’était le silence. Ma mère m’a appelé pour me dire que l’une de mes petites sœurs s’était évanouie. Elle voulait que je l’amène à la maternité. Il n’y avait pas de voitures, ni de motos dans les rues, et en plus les hommes en armes étaient en colère, donc c’était très difficile de circuler. Vers 18h30, quand nous sommes arrivées à la maternité, ma sœur a été aussitôt prise en charge par l’équipe médicale de MSF ; moi, j’ai mis ma blouse et j’ai commencé à travailler.
Les blessés qui étaient arrivés à la maternité pour recevoir des soins d’urgence étaient déjà partis à ce moment-là, référés dans d’autres structures. Mais il y avait du sang partout et 3 cadavres par terre dans une petite salle de consultation - à chaque afflux de blessés, c’est là où nous mettons les dépouilles afin qu’ils ne soient pas vus par tout le monde. Les hygiénistes et les gardiens nettoyaient le sol. J’ai aidé mes collègues à préparer les corps pour les remettre aux familles.
Les hommes savent qu’ici nous sommes une maternité. C’est à dire que notre travail de base et de s’occuper des femmes et leurs bébés. Mais ils savent aussi que nous sommes la seule structure à assurer une prise en charge de qualité dans le quartier 24h sur 24. En plus, ils savent que nous n’allons pas les refuser. Nous gérons notre stress lorsque de telles situations se produisent. Personnellement, j’ai toujours le courage de travailler. Que je sois dans la salle d’accouchement ou le service de triage, je suis là pour sauver des vies.
Dans de telles situations, nous mettons les blessés dans la salle de postpartum afin de les stabiliser. Quand ils commencent à arriver, nous demandons aux mamans de se diriger vers la salle d’accouchement pour qu’elles ne soient pas mélangées avec les cas de traumatisme, pour qu’elles soient à l’aise. Nous ne voulons surtout pas qu’elles stressent – tu imagines ! Tu viens d’accoucher, et maintenant il y a un afflux de blessés là où tu te reposes.
Les femmes sont conscientes de ce qui se passe autour d’elles dans ces moments de crise. Mais généralement elles ne s’affolent pas parce qu’elles connaissent tout ça : certaines mamans ne sont pas sorties du quartier depuis le 5 décembre 2013[2]. Elles ont donc l’habitude de voir ces épisodes de violence. Elles font des blagues parfois, elles nous remercient, elles sont compréhensives. »
[2] 5 décembre 2013 : le jour où les anti-balaka ont fait leur entrée dans la capitale pour chasser le régime Séléka.
MSF dans le quartier de PK5
En janvier 2016, la maternité de Gbaya Ndombia dans le quartier de PK5 a été ouverte,
offrant des soins gratuits et de qualité aux femmes. Gbaya Ndombia et la maternité de Castors, toutes les deux gérées par MSF, sont les seules structures de santé à Bangui à proposer des soins de santé maternelle gratuits, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Le centre Gbaya Ndombia est la seule maternité dans ce secteur de la ville. En plus des soins maternels, l’équipe MSF propose des consultations de planning familiale, prévention de transmission mère-enfant du VIH, et soins psychologiques et médicaux pour les victimes de violence. Ses équipes polyvalentes sont également formées en gestion d’urgences et des cas de trauma. Depuis son ouverture en janvier 2016, la maternité de Gbaya Ndombia a déjà dû faire face à neuf afflux de blessés. Au cours du 1er semestre 2016, les équipes MSF y ont assisté à 251 accouchements, ont pris en charge 26 victimes de violences sexuelles et ont effectué 1 829 cas de planning familial.