RDC : répondre au double fardeau du COVID-19 à Kinshasa
En trois mois, la République démocratique du Congo (RDC) a dépassé la barre des 4800 personnes confirmées positives au COVID-19. Si onze provinces du pays sont aujourd’hui touchées, sa capitale, Kinshasa, comptabilise plus de 90 % des cas.
Déjà aux prises avec des épidémies de rougeole et d’Ebola, la RDC fait face depuis le 10 mars à la pandémie de COVID-19, qui s’étend progressivement sur tout le territoire. Pour réduire la propagation du nouveau coronavirus, notamment dans sa capitale de 13 millions d’habitants, les autorités ont rapidement dû mettre sur pied des mesures de prévention, telles que la limitation des mouvements, le confinement partiel de certains quartiers, le port obligatoire du masque et la sensibilisation de masse aux gestes barrières.
En dépit de ces mesures, les cas n’ont cessé de se multiplier et plus de 4800 personnes ont été confirmées porteuses du virus en l’espace de trois mois – un chiffre probablement sous-estimé au vu des capacités de tests COVID-19 encore limitées dans le pays.
Face au danger représenté par le nouveau coronavirus, nous avons rapidement mis sur pied des interventions spécifiques dans toutes nos zones d’intervention, à Kinshasa comme ailleurs dans le pays, renforçant immédiatement les mesures de prévention, installant des espaces d’isolement et menant des activités de sensibilisation communautaire.
« A Kinshasa, nous avons organisé des équipes mobiles pour soutenir 50 structures de santé de la ville », explique Karel Janssens, chef de mission de MSF en RDC. « Nos équipes y ont renforcé les mesures d’hygiène, ont fourni des masques et des lave-mains, et ont formé le personnel médical ainsi que les relais communautaires sur la prévention et le contrôle des infections. La protection du personnel et des patients a tout de suite été la priorité absolue. »
De plus en plus de cas graves
Quelques semaines après le début de la pandémie dans le pays, nous avons également démarré notre soutien à l’hôpital Saint-Joseph, dans la zone de santé de Limete. Une unité de prise en charge des patients présentant des symptômes simples à modérés a été mise en place, avec une capacité de 40 lits. De début mai à début juin, le centre a en moyenne reçu 30 patients hospitalisés par jour.
« Au début de l’intervention, la majorité des patients reçus souffraient de formes bénignes du virus », explique Karel Janssens. « Mais depuis mi-mai, nous recevons de plus en plus de patients en état grave. Au 11 juin, 14 des 29 patients hospitalisés ont été placés sous oxygénothérapie. »
Jean-Pierre est l’un des nombreux patients ayant été admis à Saint Joseph. Soigné durant 10 jours dans la structure, il se porte aujourd’hui mieux et s’apprête à rentrer chez lui.
« Avant de venir, j’avais des maux de tête, des courbatures et je toussais », explique-t-il. « J’avais pris des médicaments mais il n’y avait pas de changement. Encouragé par ma femme et mes enfants, je me suis rendu à Saint-Joseph pour faire le prélèvement volontaire. Quand les résultats sont sortis positifs, j’ai été admis. Aujourd’hui, je me sens bien. On m’a encore fait un prélèvement pour un autre test, mais j’attends les résultats. »
Le pays ne disposant que d’un seul laboratoire pour réaliser les tests COVID-19, beaucoup de patients doivent attendre longtemps les résultats avant de pouvoir sortir des structures de santé. A Saint-Joseph, plus de 10% des patients ont attendu leurs résultats biologiques pendant plus de deux semaines, ne permettant pas de statuer sur leur sortie. Une situation très problématique pour les personnes suspectées d’avoir contracté le COVID-19, ainsi que pour les patients guéris qui ne peuvent quitter le centre, alors que les lits sont requis pour hospitaliser les patients en attente de soins parfois vitaux.
L’effet caché du COVID-19 sur les soins
La faible capacité en tests et les délais de communication des résultats ne sont pas les seuls défis posés par la riposte au COVID-19 dans la capitale congolaise. Depuis que la pandémie a été déclarée, nous constatons en effet une baisse marquée du nombre de consultations et d’admissions en consultation et hospitalisation générale dans les structures de santé que nous soutenons à Kinshasa, y compris dans son centre de prise en charge des personnes vivant avec le VIH/Sida, le Centre Hospitalier de Kabinda (CHK).
« Au Centre Hospitalier Kabinda, le nombre de consultations VIH a baissé de 30% entre janvier et mai », note Gisèle Mucinya, coordinatrice médicale du projet VIH/Sida de MSF à Kinshasa. « Et au Centre Mère et Enfants de Ngaba que nous soutenons, une baisse de 44% des consultations générales a été enregistrée entre janvier et avril. C’est très inquiétant. »
Le Dr Rany Mbayabu, médecin directeur du centre hospitalier privé Mudishi Liboke, tire le même constat. « Depuis mars, les consultations ont chuté de plus de moitié ici, passant d’environ 250 à 100 patients par mois. Nos malades nous disent qu’ils ont peur de se faire contaminer par le COVID-19 en venant consulter. D’autres évoquent les difficultés de mouvement ou l’impact économique des mesures de prévention ».
Cette baisse de fréquentation inquiète nos équipes. Si la fréquentation baisse dans des structures que nous soutenons – donc gratuites et disposant de matériel de protection – il est plus que probable qu’elle ait chuté dans bien d’autres structures de la capitale. De nombreux malades ne bénéficiant plus de soins parfois vitaux, le taux de mortalité lié aux autres pathologies risque donc d’être plus élevé que celui actuellement constaté chez les patients porteurs du COVID-19.
« De nombreuses personnes redoutent d’être infectées par le virus en se rendant dans les structures de santé jugées sous-équipées en matériel de protection, ou d’y être isolées et stigmatisées longtemps du fait des délais pour obtenir les résultats des tests », constate Karel Janssens. « Cette situation affecte la prise en charge des personnes malades et le suivi de leur traitement, notamment dans le cas de pathologies telles que le diabète, la tuberculose, le paludisme ou le VIH/Sida. »
Face à cette situation, nous plaidons pour un meilleur accès des centres de santé aux équipements de protection individuelle. « Cela améliorerait la confiance des patients à se rendre dans les structures de soins et par ricochet, renforcerait les efforts visant à contenir la propagation du COVID-19, tout en fournissant les services médicaux essentiels », estime le chef de mission MSF. « Face à une pandémie comme le COVID-19, et au vu de l’augmentation des infections respiratoires qui accompagnent la saison sèche, il est vital d’assurer un bon fonctionnement des structures de santé de première ligne. Cette pandémie ne peut réduire davantage l’accès aux soins des patients. »