Nord-ouest du Cameroun : un hôpital au cœur de la crise
Depuis plus de trois ans, le nord-ouest et le sud-ouest du Cameroun sont secoués par des violences entre groupes armés étatiques et non-étatiques, avec des répercussions dramatiques pour des centaines de milliers de personnes. Les actes de violence se sont multipliés – raids armés, attentats, kidnappings, torture, violence sexuelle – et n’ont pas épargné les populations civiles.
D’après les dernières statistiques de l’ONU, près de 680 000 personnes sont aujourd’hui déplacées à la suite de ces violences, et 59 000 se sont réfugiées au Nigeria voisin. Plus de 2 millions de personnes auraient besoin d’assistance humanitaire liée aux conséquences physiques et psychologiques de la crise. L’accès aux soins a notamment été fortement réduit.
« A cause des violences et des restrictions de mouvement, la majorité des centres de santé ont été désertés ou ne sont plus en mesure de fonctionner normalement », explique Shahbaz Khan, coordinateur du projet MSF dans la région nord-Ouest. « L’aide humanitaire est réduite du fait de l’insécurité et les populations se sont rapidement retrouvées dans une situation sanitaire critique. Les communautés déplacées, en, particulier, ont peu, voire pas, accès aux soins et vivent dans des conditions alarmantes. »
Plus de 2000 consultations aux urgences
Au vu de la situation, MSF a lancé en 2018 un soutien médical d’urgence dans plusieurs localités du nord-ouest du Cameroun. Nous y soutenons aujourd’hui plusieurs structures médicales ainsi qu’un réseau d’agents de santé communautaire assurant des soins primaires aux populations déplacées et vulnérables, ou en les référant vers les structures de soins que nous soutenons.
À Bamenda, MSF soutient ainsi l’hôpital Saint Mary Soledad. Dans cette structure de 76 lits, nos équipes prodiguent des soins gratuits aux femmes enceintes, aux enfants en bas âge et offrent des services médicaux, chirurgicaux et psychologiques aux victimes de trauma intentionnels ou non, comme les accidentés de la route, les survivants de violence sexuelle ou armée, les victimes de brûlures ou d’accidents domestiques.
MSF a également mis sur pied un service d’ambulance actif jour et nuit, sept jours sur sept, afin de transporter les patients ayant besoin de soins urgents, principalement des urgences obstétriques et pédiatriques mais aussi des patients souffrant de paludisme avancé, d’infections respiratoires, de morsures de serpents, d’ulcères perforés, etc. Environ 5% des patients transportés en ambulance sont des victimes de violences intentionnelles.
« En 2019, nous avons accueilli plus de 2000 patients en salle d’urgence et assuré 1500 interventions chirurgicales », explique le Dr Jifon Edwin Fonyuy, médecin MSF en charge de l’admission et du suivi des patients arrivant aux urgences de Saint Mary Soledad. « Nos ambulanciers ont travaillé jour et nuit, assurant plus de 7300 transports de patients. »
Portraits de Loveline et Félix
Loveline a été admise à l’hôpital pour donner naissance à sa fille. « Je vis dans l’un des quartiers les plus dangereux de Bamenda, où la clinique locale ne fonctionne plus », explique-t-elle, son bébé dans les bras. « Quand j’ai senti les contractions cette nuit, j’étais stressée car les lundis, les déplacements sont interdits en ville. Je ne savais pas quoi faire ». Transporter Loveline vers un hôpital était crucial car la jeune femme souffre de drépanocytose, une pathologie sanguine qui accroît les risques de décès durant l’accouchement.
« J’ai alors appelé l’ambulance de MSF car je sais que ce sont les seules qui peuvent bouger durant les lockdowns. Heureusement, le véhicule a pu arriver rapidement. Une heure à peine après les avoir appelés, ma fille naissait. Sans l’ambulance, nous aurions pu toutes les deux y laisser la vie. »
Félix, 23 ans, vivra le reste de sa vie avec les séquelles du traumatisme dont il a récemment été victime. Lui et sa famille, déplacés à la suite d’affrontements, ont été attaqués au sein de leur village. Sa famille a pu s’échapper. Pas lui. Retenu au sol par ses assaillants, il a vu ceux-ci lui trancher la main gauche à l’aide d’un couteau avant de le laisser joncher là, inconscient.
« Je suis resté couché à saigner durant deux heures avant que ma sœur n’ose revenir me chercher », témoigne-t-il. « Nous nous sommes cachés dans la forêt durant deux semaines. On a traité ma blessure avec des remèdes traditionnels mais mon bras s’est infecté. Nous sommes finalement sortis pour aller dans un centre de santé. Là-bas, ils n’avaient rien pour me soigner. Ils ont juste mis un bandage. L’infection s’est aggravée. C’est pour cela qu’on est venus à Bamenda. Sur la route, quelqu’un nous a dit que les médecins à Saint Mary Soledad pourraient mieux me soigner. »
Au moment de son arrivée, Félix était très faible et a dû être hospitalisé durant six jours pour soigner l’infection et être accompagné psychologiquement. « Félix est impressionnant », a dit le Dr Jifon durant une visite de suivi. « Sa blessure guérit bien, il n’y a plus aucune trace d’infection. »
Une impartialité essentielle
« Pour beaucoup de patients, victimes directes ou indirectes de la crise en cours, la présence de MSF était tout simplement vitale », explique Shahbaz Khan. « Dans cette région, nous sommes l’une des rares organisations présentes sur le terrain pour apporter des soins à la population. Dans une zone marquée par des attaques régulières contre les humanitaires, cet engagement est difficile, mais la population sait que nous soignons nos patients de façon impartiale. Notre seul objectif est de répondre aux besoins de santé urgents. »
La pandémie de Covid-19 a également atteint le nord-ouest du Cameroun, ajoutant une autre urgence sanitaire à la situation déjà critique. Tout en soutenant immédiatement la réponse au Covid-19, MSF a maintenu ses activités vitales à Saint Mary Soledad, les appels au cessez-le-feu étant largement restés lettre morte. La violence et les déplacements se sont poursuivis depuis, enfonçant chaque jour un peu plus la population dans une situation de désespoir, au cœur d’une des crises humanitaires les plus délaissées au monde.