La famille de Gessica Fleurmond a su très tôt qu’elle était destinée à devenir infirmière. Aujourd’hui, Gessica est une infirmière en soins intensifs très expérimentée, et ses collègues prennent en charge des centaines de patients chaque année à l’hôpital Tabarre de Médecins Sans Frontières (MSF) à Port-au-Prince, en Haïti.
En Haïti, l’escalade de la violence et de la criminalité liée aux gangs ainsi que les accidents de la route contribuent à la forte demande de soins en traumatologie.
"En soins intensifs, nous recevons des patients avec des traumatismes crâniens, des traumas abdominaux fermés ou ouverts, et aussi des plaies vasculaires au niveau des membres supérieurs ou inférieurs. Ils ont besoin de soins intensifs parce que leur pronostic vital est en jeu, ils ont besoin d’être surveillés de près, d’être soignés", explique Gessica.
En tant qu’infirmière en soins intensifs, Gessica doit être prête à faire face à tout type de situations. Mais il lui est toujours aussi difficile de voir une personne dans un état critique. "Par exemple, on voit déjà que cette personne ne s’en sortira pas du tout... On travaille, on soigne, on donne les médicaments, mais on sait déjà que cette personne ne s’en sortira pas. C’est assez difficile et assez pénible, surtout quand les parents viennent voir."
"Si l’équipe voit vraiment que le malade ne va pas s’en sortir, on parle au psychologue, le psychologue voit la famille ensuite avec le médecin et l’infirmière, on voit la famille encore, on explique : “Voici ce qui s’est passé, voici ce qu’on pense, voici ce qu’on va faire et voici ce qu’on pense pour le suivi”. Pour la famille, c’est triste, même des fois, ils pètent un plomb, ils courent, ils tombent en pleurs, mais c’est nécessaire."
"Nous sommes une équipe en soins intensifs, nous travaillons d’un commun accord ensemble, et nous visons le bien du patient."
Une bonne collaboration au sein de l’équipe est essentielle pour prodiguer des soins de santé de qualité, et c’est encore plus vrai dans des contextes tels que celui d’Haïti, où les ressources ne sont pas optimales.
"Il manque le matériel nécessaire dans les hôpitaux et le staff y compris, il y a plein de frustrations, et ceux qui le veulent vraiment sont contraints et limités. Les infirmières sont compétentes et qualifiées, elles peuvent travailler partout, et des fois dans des régions reculées en remplacement d’une sage-femme ou d’un médecin. Mais ce qui manque, c’est le matériel", explique Gessica.
"Le manque de formation spécialisée constitue un autre défi. « Pour devenir infirmière en soins intensifs, je n’ai pas reçu de formation précise. Seulement avec la flexibilité, la facilité d’adaptation, on apprend de jour en jour de travailler, de poser les gestes qu’il faut."
"Chez MSF, j’ai reçu une formation sur l’intubation, sur la réanimation, le positionnement, tout ça."
Malgré les difficultés, Gessica a su très tôt qu’elle possédait certains atouts qui la prédisposaient à une carrière d’infirmière.
"Ma capacité à devenir infirmière a été découverte par ma grand-mère et ma sœur. Elles trouvaient que je portais une attention particulière pour prendre soin de ceux que j’aimais et que je veillais à ce que tout soit fait le mieux possible. C’est ce qui m’a poussée à faire ce choix, je me suis dit que peut-être c’était une vocation."
"Ce qui me plaît le plus dans mon métier, c’est de recevoir un patient en très mauvais état et de lui permettre de pouvoir aller mieux jusqu’à un rétablissement complet."
Un patient en particulier a profondément marqué Gessica. "Il y a deux ans, nous avions reçu un enfant, il avait huit ans. Il avait été victime d’un accident de la voie publique. Ses deux membres inférieurs étaient dans un piteux état. Quand on l’a reçu, ce patient était très conscient de ce qui lui arrivait, et il arrivait à l’exprimer normalement. Ça me choquait parce qu’il avait huit ans."
"Il a expliqué l’accident, ce qu’il vit, ce qu’il sent. Ça a été pénible, certains d’entre nous ont même pleuré. Et aussi pour les parents, c’est difficile parce qu’ils se reprochaient d’avoir envoyé l’enfant acheter, donc ils se sont dit eux aussi, s’ils ne l’avaient pas envoyé acheter, cela ne serait pas arrivé."
"Il était vraiment algique, il nécessitait de très forte doses de morphine analgésique [médicament contre la douleur]. Après des semaines de soins, nous avons pu sauver un membre. Maintenant, il est totalement rétabli, il peut aisément courir, marcher avec une prothèse. Cela m’a marquée parce que c’est un enfant. C’était grave, il aurait pu mourir, mais lui aussi, il était fort, physiquement et moralement. Moralement surtout. Il croyait en l’avenir, et il n’avait pas baissé les bras. Ça m’a marquée, vraiment."
"Ce que je souhaite pour cette génération d’infirmières en Haïti, c’est qu’elles soient fermes, en même temps douces, qu’elles aient beaucoup d’empathie, d’amour, qu’elles aient beaucoup d’éthique, de conscience professionnelle, et aussi beaucoup de courage, parce qu’il en faut. Oui, parce que le pays nous incite à laisser tomber, mais si on regarde seulement le côté négatif, on peut se décourager avant même d’entrer à l’hôpital, parce qu’il faut se concentrer sur le patient, qui est mal."
Gessica est une communicatrice hors pair, passionnée par le partage, et elle aime faire passer des messages. En tant qu’interprète qualifiée en langue des signes, elle est en mesure d’échanger avec des personnes malentendantes ou atteintes d’un trouble de la parole, ce qui est une autre manière pour elle de contribuer à l’accès aux soins. "J’aime cette langue", dit-elle.
Une bonne communication est essentielle dans la prise en charge des patients. "La profession d’infirmière est un métier noble, c’est une vocation. C’est un métier qui nous pousse à nous dépasser pour aider les autres. C’est comme si on se laisse tomber, entre guillemets, pour prendre soin des autres."
L’hôpital de traumatologie Tabarre a été créé en 2019 et fournit des services d’urgence, de chirurgie, de traitement des brûlures, de soins psychologiques et de kinésithérapie. L’hôpital dispose d’une unité de soins intensifs en traumatologie de 50 lits et d’une unité de soins intensifs supplémentaire de 20 lits pour les grands brûlés. En 2022, les équipes ont admis 316 personnes en soins intensifs.
