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Cycles de violence au Honduras

Au Honduras, la violence est partout, même à la maison. Dans les rues de grandes villes telles que Tegucigalpa et San Pedro Sula, la délinquance et les conflits font rage. La violence domestique et sexuelle sont aussi courantes, et ce sont les femmes et les enfants qui en subissent les conséquences. Face à la corruption, à la crainte de représailles et à un accès limité à des services de soins de santé essentiels, les victimes se retrouvent sans protection et n’ont d’autres choix que de quitter leur domicile.

Le « Servicio Prioritario » utilise une approche intégrale et multidisciplinaire : le « one stop service ». Les victimes de violences sexuelles sont aidées par différents professionnels de la santé lors d'une même visite, dans le but de réduire la victimisation d'un patient. © Mayerling Garcia, mars 2014.
Le « Servicio Prioritario » utilise une approche intégrale et multidisciplinaire : le « one stop service ». Les victimes de violences sexuelles sont aidées par différents professionnels de la santé lors d'une même visite, dans le but de réduire la victimisation d'un patient. © Mayerling Garcia, mars 2014.

TEGUCIGALPA

Face à ces difficultés, MSF a lancé son « servicio prioritario » (service prioritaire) afin de dispenser des soins médicaux d’urgence et psychologiques aux victimes de violence. En coopération avec le ministère de la Santé du Honduras, ce service gratuit et confidentiel assure la prise en charge de patients dans deux centres de santé et au principal hôpital de Tegucigalpa depuis 2011.

Fin 2017, une étude de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a estimé à 174 000 le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Les facteurs qui ont contribué à cela sont facilement visibles à Nueva Capital, une communauté située près de Tegucigalpa. Nueva Capital, entièrement contrôlée par les maras, est devenue l’une des zones les plus dangereuses de la région. La plupart des habitants vivent dans une extrême pauvreté. Ils n’ont même pas accès à des services publics de base tels que l’eau, l’assainissement et l’électricité.

MSF a récemment réhabilité une clinique construite à l’origine par les membres de la communauté dans le secteur deux de Nueva Capital. Aujourd’hui, une équipe dispense des soins de santé primaires et psychologiques à près de 60 000 habitants de la région. À 9h un lundi de début juillet, la salle d’attente de la clinique est déjà bondée de patients en attente de soins gratuits. Il s’agit pour la plupart de femmes et d’enfants - très jeunes pour certains. Il y a très peu d’hommes.

Le « Servicio Prioritario » utilise une approche intégrale et multidisciplinaire : le « one stop service ». Les victimes de violences sexuelles sont aidées par différents professionnels de la santé lors d'une même visite, dans le but de réduire la victimisation d'un patient. © Mayerling Garcia, mars 2014.
Le « servicio prioritario », assure la prise en charge de patients dans deux centres de santé et au principal hôpital de Tegucigalpa. © Mayerling Garcia, mars 2014.

« Les services psychologiques sont indispensables ici », explique Brenda Villacorta, psychologue de MSF. « Si vous arrivez avec une blessure par balle, nous pouvons vous soigner, mais la blessure psychologique associée à ce traumatisme n’est pas toujours visible. Je rencontre des gens dont le deuil n’est pas fait, qui souffrent d’anxiété et de troubles dépressifs ou qui ont subi des violences sexuelles et domestiques. » À Nueva Capital, la violence fait partie de la vie. Bon nombre de membres de cette communauté, s’ils sont assez chanceux pour trouver un emploi à Tegucigalpa — risquent d’être agressés, enlevés en chemin ou pire.

Les déplacements liés à la violence sont en augmentation au Honduras. « Le nombre de déplacés internes augmente », déclare Jorge Alberto Castro, psychologue MSF au sein de la clinique du Centre de santé Alonso Suazo de Tegucigalpa. « Ces gens doivent déménager, au risque de subir encore et toujours les mêmes traumatismes. »

L’histoire d’Ilma

Aujourd’hui, llma, 54 ans, est arrivée à la clinique avec des problèmes d’estomac. Elle vit à Nueva Capital depuis 2004, elle et son époux ont quitté leur foyer de La Paz, la capitale du Honduras, pour venir s’installer à Tegucigalpa et chercher un emploi. Son époux a trouvé un travail en tant que gardien de sécurité. « Au départ, la vie était facile pour nous », explique Ilma. « Nous nous sommes mariés et nous avons eu un enfant. Ensuite, les choses ont dégénéré. On a tiré sur mon mari et il a été assassiné par des hommes qui voulaient braquer l’entreprise qu’il surveillait. Aujourd’hui, je vis seule avec mon fils. »

Le fils d’Ilma, à présent adulte, est comptable dans une usine de Tegucigalpa. Elle craint également pour sa sécurité. « Vivre à Nueva Capital, c’est difficile », déplore-t-elle. « Mon fils a été attaqué à de multiples reprises. La plupart du temps, il est dépouillé de tout, même de l’argent qui lui permet d’emprunter les transports. Il veut rentrer à La Paz. C’est plus sûr, mais la situation économique n’y est pas bonne. » À court d’options, Ilma et son fils, comme bon nombre de Honduriens, sont prisonniers d’un cercle vicieux de violence et d’exclusion. En dépit des risques, elle envisage de prendre la route vers le nord, pour commencer une nouvelle vie aux États-Unis. « Je connais les dangers du voyage vers les États-Unis, et nous qui sommes pauvres, nous n’avons pas les moyens de nous y rendre légalement », explique-t-elle. « Mais je ne me sens pas en sécurité à Tegucigalpa. »

CHOLOMA

Au nord-ouest de Tegucigalpa, près de la frontière avec le Guatemala, se trouve la ville de Choloma. Choloma est la troisième plus grande ville du Honduras. Sa population officielle compte quelque 250 000 habitants. La ville attire des demandeurs d’emploi des quatre coins du pays. Pourtant, les bas salaires et les conditions de travail déplorables maintiennent un grand nombre d’entre eux dans la pauvreté.

Een 18-jarige slachtoffer van huiselijk geweld krijgt medische en geestelijke zorg in de kliniek in Choloma. Ze is twee maand zwanger. © Christina Simmons, september 2017.
Une victime de violence domestique âgée de 18 ans reçoit des soins médicaux et de santé mentale à la clinique de Choloma. Elle est enceinte de deux mois. © Christina Simmons, septembre 2017.

La délinquance est à la fois endémique et latente à Choloma et comme à Tegucigalpa, ce sont les femmes et les jeunes filles qui y sont les plus exposées. Ici également, les équipes de MSF proposent des services de soins de santé mentale et sexuelle et reproductive, en particulier aux survivants de violences sexuelles. Depuis le printemps 2017, les équipes de MSF soutiennent une clinique locale du ministère de la Santé à Choloma, qui avait des difficultés budgétaires et des limitations de personnel. L’infrastructure dispense à présent des services de santé sexuelle et reproductive et des soins d’urgence, et aide les femmes enceintes à éviter les hôpitaux publics surpeuplés. Dans une clinique de la ville, les équipes mobiles de MSF proposent deux fois par semaine des soins préventifs et curatifs, notamment en matière d’éducation à la santé et de conseil.

« Ici, les populations sont profondément affectées par la violence, en particulier les femmes », explique la psychologue MSF Ámbar Assaf. « Les patients qui me consultent sont principalement des jeunes femmes âgées entre 15 et 35 ans. La violence physique, psychologique et sexuelle est monnaie courante. Je vois de nombreuses femmes qui souffrent de dépression, car elles subissent des violences et la normalisent comme un mécanisme de défense. »

L'histoire d'Ambar Assaf

Assaf et son équipe travaillent avec des patients afin de les aider à gérer leurs expériences et à reprendre un semblant de contrôle sur leur vie. Cependant, le caractère invasif et intensif de la violence à Choloma peut laisser des cicatrices profondes. « Je me souviens très bien d’une famille », explique Assaf. « Une femme enceinte avec deux enfants, l’un de six ans et l’autre de huit. Un jour, son mari n’est pas rentré à la maison.  Les voisins ont trouvé son corps gisant dans la rue et l’en ont informée. Elle a emmené ses enfants le voir. Ils ont tout vu : tué, étranglé et le corps en très mauvais état. Dans ce quartier, les anecdotes telles que celle-ci sont monnaie courante. »

Plus nous travaillons, plus les besoins sont grands. Nous avons tous vu des gens tués dans les rues. Nous ne pouvons rien changer à la situation ici, mais nous pouvons soutenir les populations qui doivent vivre avec la violence.
Ambar Assaf
Témoignage de

Ambar Assaf

Psychologue

La famille participe à un programme de protection des témoins et a déménagé dans une autre ville à deux heures de là, comme des milliers de déplacés internes du Honduras. « Mais ils se sentent toujours en danger », souligne Assaf, et leur départ forcé les a également coupés de leurs relations sociales et privés de revenus. « La mère donnera naissance dans un mois. Elle envisage de retourner à Choloma, car il n’y a aucun emploi dans la ville où ils ont fui », explique-t-elle.

L’équipe mobile de MSF a travaillé avec les enfants pour leur apporter un soutien psychologique et les aider à mettre au point des mécanismes qui leur permettront de faire le deuil de leur père. Mais la famille est toujours confrontée à un choix cornélien, comme bon nombre de familles du Honduras : rester chez elle et risquer sa vie ou partir et risquer sa vie en chemin, dans l’espoir d’un avenir meilleur. « Dans cette région, les besoins sont tellement énormes », explique Assaf, qui vit non loin de là, à San Pedro Sula.

SAN PEDRO SULA

Ils sont nombreux à prendre la route vers le nord, même si elle devient plus dangereuse et que les risques d’expulsion des États-Unis vont grandissants à cause de la politique de « tolérance zéro » de l’administration Trump qui visent à restreindre la migration. Ces risques accrus ont en fait revigoré les passeurs, ou coyotes, qui organisent le transport des migrants qui traversent les pays d'Amérique centrale. Le coût du voyage du Honduras aux États-Unis avec un coyote a nettement augmenté, avant environ 6000 dollars américains et aujourd’hui jusqu’à 10 000. Bon nombre d’entre eux proposent des « formules » comprenant trois tentatives pour rejoindre les États-Unis. Cependant, la violence et le désespoir sont tels que les personnes déplacées continuent toujours de considérer les États-Unis comme leur seule alternative et les coyotes, comme leur seule chance de les aider à traverser la frontière.

Des milliers de personnes sont arrêtées au Guatemala ou à la frontière mexicano-américaine et renvoyées au Honduras. Chaque semaine, des centaines d’hommes et de femmes passent par La Lima Centro de Atención del Migrante Retornado, situé à l’aéroport international Ramón Villeda Morales, à San Pedro Sula. Les familles et les enfants sont ensuite dirigés vers Belen, une autre infrastructure.

Hondurese man
Cet Hondurien a été obligé de fuir avec sa femme enceinte. Ils ont été séparés à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Sa femme est détenue et risque d'être déportée au Honduras. © Dominic Bracco, mai 2017.

La Lima

Ouvert en 2000, le centre pour migrants de La Lima est géré par l’ordre catholique de Las Hermanas Scalabrinianas, en partenariat avec le gouvernement hondurien. Lorsque les avions qui transportent les migrants expulsés arrivent des États-Unis ou du Mexique, l’équipe les accueille et leur propose du café, des collations et des kits d’hygiène. Au centre, une orientation de base est opérée pour évaluer leurs besoins en matière de soins médicaux ou psychologiques et d’assistance pour trouver un endroit où résider s’ils n’ont plus de maison où retourner. Le centre reçoit sept à huit vols spécialement affrétés des États-Unis chaque semaine, transportant chacun 80 à 90 passagers. 

Bon nombre de migrants expulsés qui arrivent à La Lima n’ont nulle part où aller. Une personne arrivée récemment a découvert que toute sa famille avait quitté la ville en son absence. Un homme de 87 ans expulsé du Guatemala sans famille pour s’occuper de lui a été placé dans une maison de retraite gérée par les hermanas. D’autres vivent aux États-Unis depuis dix ans ou plus et n’ont plus aucun contact avec leur famille et leurs amis au Honduras. Les hermanas estiment que quelque 40 % des personnes expulsées qui arrivent à La Lima essaieront encore de se rendre aux États-Unis. Malgré le fait que tout le monde sait que les expulsions sont en augmentation et que bon nombre de ces personnes ont déjà subi, lors de leurs tentatives précédentes,  des violences horribles, des enlèvements ou pire encore. Durant les six premiers mois de 2018, le centre a déjà reçu 3500 expulsés de plus par rapport à la même période de l’année précédente. Certaines personnes sont passées par La Lima jusqu’à cinq fois en une seule année.