Ebola: un miracle de Noël à Monrovia ?
George ‘Chip’ Hunter, agent de santé mentale MSF au Liberia, nous a envoyé un témoignage très émouvant depuis Monrovia où il fait partie de l’équipe qui lutte contre l’épidémie d’Ebola.
Comme certains d’entre vous le savent, je travaille sur un projet Ebola pendant les vacances. Une façon plutôt inhabituelle de fêter Noël. Et comme tous ceux et celles qui sont déjà venus chez moi vous le diront, je ne manque de rien – j’ai même beaucoup trop de choses. D’où le vœu spécial que je formule pour Noël cette année.
Il y a quelques jours, un homme a succombé au virus Ebola alors que sa femme s’était absentée pour quelques jours. Leurs cinq enfants, âgés de 4 à 18 ans, se sont ainsi retrouvés seuls, avec leur père défunt, dans leur maison située près de notre centre de transit. Cette situation n’a rien d’exceptionnel dans ce pays où les pompes funèbres n’emmènent pas les corps, d’autant que la prise en charge des défunts est particulièrement problématique au cours d’une épidémie d’Ebola. La mère est rapidement revenue à la maison et le corps de son mari a alors été enlevé.
Le premier des enfants est tombé malade quelques jours plus tard. Sa mère, qui avait rapidement identifié les symptômes d’Ebola l’a conduit au centre de transit. Une fois le diagnostic confirmé, l’enfant a été transféré au centre de traitement Ebola (CTE). Même chose pour trois autres enfants, l’un après l’autre. Le cinquième, l’aîné, présentait également des symptômes de la maladie mais son test s’est heureusement révélé négatif et il a pu rentrer chez lui. La mère qui vient de perdre son mari et dont le diagnostic Ebola est tombé pour quatre de ses cinq enfants n’a d’autre choix que d’attendre. Comme nous. Contre toute attente, les quatre enfants sont toujours en vie au bout d’une semaine. Trois semblent en voie de guérison et le quatrième lutte toujours pour la vie mais il tient bon.
L’espoir revient très vite lorsque l’état des patients s’améliore de la sorte. Mais avec Ebola, la situation peut se dégrader en un rien de temps et vous briser le cœur. Certains patients peuvent présenter une « pseudo-rémission » – la fièvre et les symptômes disparaissent avant de réapparaître aussi vite, provoquant une rechute soudaine, suivie rapidement d’un décès. On est loin de tout savoir sur le virus Ebola. Ces enfants présentent-ils des caractéristiques génétiques particulières ? Leur système immunitaire fonctionne-t-il différemment ? Ont-ils tout simplement énormément de chance ? Attendent-ils d’avoir pris une place toute particulière dans nos cœurs pour mourir et nous fendre l’âme ? En tant que chercheur objectif et statisticien, je sais que l’on peut s’attendre à ce qu’un d’eux survive. S’agissant de l’épidémie actuelle, deux n’aurait encore rien d’exceptionnel. A partir de trois, il s’agirait déjà d’un petit miracle, dépassant toute attente raisonnable. Une survie des quatre enfants – un taux de 100 % – défierait le destin de manière inexpliquée et serait tout bonnement incroyable.
“Ebola a fait saigner trop de coeurs”
Mais pour l’heure, j’ai du mal à n’être qu’un statisticien et à accepter ces calculs de probabilité. Il s’agit d’enfants ; ils ont perdu leur père et laissent leur mère et leur frère dans l’angoisse. Je les ai vus tomber malade et arriver au centre l’un après l’autre. J’ai vu l’angoisse et la peur dans les yeux de leur mère à chaque fois qu’un enfant était hospitalisé. Sa crainte de ne jamais les revoir rentrer à la maison peut-être. Et aujourd’hui, je préférerais ne pas être un statisticien et ne pas réaliser ce qu’il risque d’arriver. Je fais le choix de ne pas être un professeur qui enseigne les probabilités ou un mathématicien qui analyse les données et prédit les résultats épidémiologiques dans des tableaux et des graphiques. Je préfère ne pas penser à tout cela et ignorer ces chiffres.
Je ne puis qu’espérer un miracle de Noël. J’ai déjà tout ce qu’il me faut, je l’ai dit. Alors cette année, une chose, une seule chose me ferait plaisir. Ce que je souhaite, c’est que ces quatre adorables et beaux enfants survivent et que toute la famille soit à nouveau réunie. Ebola a fait saigner trop de cœurs cette année dans la région et risque de briser encore des cœurs cette fois-ci. Et c’est loin d’être terminé.
Mais finalement, cela ne fait de mal à personne de croire au père Noël. S’il faut espérer un miracle, c’est peut-être maintenant en cette période de fêtes de fin d’année. Voilà donc mon souhait pour Noël, le seul pour cette année. D’ici Noël, nous saurons si le miracle s’est produit…
Chip
(A suivre)