Mossoul, un an après: la longue agonie des blessés de guerre
Mardi 10 Juillet 2018
Un an après la reprise de la ville irakienne de Mossoul, les capacités des structures médicales de la ville sont toujours réduites de 70%. Le système de santé est toujours en ruines et ne peut pas faire face à l’afflux des milliers de personnes qui reviennent dans la ville.
L'histoire de Zainab: "J'ai déjà subi quinze opérations à la jambe"
Zainab (prénom d'emprunt) a marché sur un engin explosif improvisé alors qu’elle courait dans les rues de Mossoul en tentant de fuir les combats. Plusieurs heures plus tard, elle s’est réveillée dans un hôpital du sud de Mossoul. Elle s’était gravement cassé la jambe et avait perdu beaucoup de sang. Depuis un an, elle souffre et tente d’accéder aux soins à Mossoul pour soigner sa jambe cassée. Mais dans cette ville qui se remet à peine du conflit, les structures de santé pour blessés de guerre se font rares. Zainab est désormais soignée dans l’unité de soins chirurgicaux et post-opératoires de Médecins Sans Frontières à l’est de Mossoul.
« Je vis à l’ouest de Mossoul et j’ai 45 ans. J’ai cinq filles et deux garçons.Notre famille a été séparée lorsque nous avons fui notre maison le 11 avril 2017. J’ai marché sur un engin explosif improvisé et j’ai perdu connaissance. Je me suis réveillée à l’hôpital de Hamam al-Alil (trente kilomètres au sud de Mossoul). Les médecins ont dû me mettre sous transfusion sanguine. Environ 19 poches de sang en tout. Certaines de mes filles ont aussi reçu des éclats d’obus.
Lorsque je me suis réveillée à Hamam al-Alil et que je me suis rendu compte que j’étais blessée, j’ai accepté la réalité. J’ai pensé à ma famille et me suis inquiétée qu’il leur soit arrivé quelque chose. Mais j’ai rapidement été informée qu’ils allaient bien, j’ai été soulagée de savoir que j’étais la seule blessée.
Je suis restée hospitalisée un mois et quatre jours et ils ont installé un fixateur externe supplémentaire sur ma jambe. Ils m’ont ensuite transférée à l’hôpital d’Al Salam (à l’est de Mossoul), où le personnel a dit qu’ils ne pouvaient pas fournir de traitement et m’a donc ramenée à la maison.
Lorsque je suis arrivée à la maison, je n’avais pas le moindre médicament. Mais un infirmier est venu régulièrement nettoyer la plaie et changer le bandage. Cela a duré un certain temps, puis la blessure a commencé à cicatriser.
Je suis alors allée voir un autre médecin qui m’a dit que j’avais besoin de me faire opérer. Après l’opération, mes os ont commencé à se dégrader et le moindre mouvement me faisait mal: j’avais toujours une fracture dans la jambe. Je suis allée voir un médecin privé, que j’ai vu régulièrement entre août et septembre 2017. Il a dit que j’avais besoin d’une autre opération parce que l’os était toujours fracturé et se rétrécissait.
Le médecin privé a retiré la plaque interne qui était à l’intérieur et la blessure a recommencé à cicatriser. J’ai pu me remettre à marcher avec des béquilles. Mais j’ai eu un petit accident qui a de nouveau fracturé l’os. Par la suite, nous sommes allés voir un autre médecin privé pendant deux mois. Il a procédé à un remplacement de l’os et à une fixation interne. L’opération a duré quatre heures. Elle a coûté un million de dinars irakiens (832 dollars). Une semaine après l’opération, la blessure s’est infectée. L’infection venait de l’hôpital, il était très sale. Le médecin m’a prescrit des médicaments, mais sans résultat. Un autre médecin m’a alors référée à cette structure de soins post-opératoires de MSF.
Dès mon arrivée, ils m’ont opérée. Ils ont dit que l’infection venait de l’intérieur, du fixateur interne. Ils l'ont retiré, nettoyé la plaie et effectué un prélèvement pour réaliser des analyses. Lorsqu’ils ont obtenu les résultats, ils m’ont prescrit des médicaments.
J’ai déjà subi quinze opérations à la jambe. Lorsque j’ai été opérée par le médecin privé, j’ai dit que c’était la dernière, je pensais vraiment que ça serait fini. Mais l’opération n’a pas marché et ma jambe a commencé à s’infecter. Puis je suis venue ici, j’ai eu deux opérations, et je dois encore en subir trois autres avant que tout soit réglé.
La situation sanitaire à Mossoul est très mauvaise parce que tous les hôpitaux sont détruits. Depuis ma blessure, nous ne nous sommes pas rendus dans un seul hôpital public, seulement des hôpitaux privés.
Ma blessure a changé ma vie du tout au tout, elle m’a épuisée, moi et ma famille. Chaque fois que je me fais opérer, j’espère que ce sera la dernière fois. »
La lutte pour reconstruire la ville est loin d'être terminée
Cela fait un an que le conflit a officiellement cessé à Mossoul. Mais la lutte pour reconstruire la ville et les vies des habitants, elle, est loin d’être terminée. De vastes zones de Mossoul, particulièrement à l’ouest, restent totalement décimées. Les mines et objets piégés parsèment encore les habitations et les structures de santé.
Certaines personnes n’ont d’autre choix que de revenir à Mossoul et de vivre dans des habitations endommagées, souvent sans eau ni électricité. Les mauvaises conditions d’hygiène accroissent le risque de maladie, et les lésions traumatiques sont fréquentes car les habitants tentent de reconstruire leurs maisons dans des conditions dangereuses.
L’accès aux soins est une bataille au quotidien, avec neuf hôpitaux sur treize endommagés par le conflit. La reconstruction des structures de santé prend beaucoup de temps, il ne reste que cinq lits pour 10 000 habitants, ce qui est bien inférieur aux normes minimales internationales de fourniture de soins de santé.
Par conséquent, de nombreux blessés de guerre à Mossoul endurent des mois d’agonie avant de recevoir des soins. Souvent, ils ont reçu des soins chirurgicaux précipités sur ou derrière les lignes de front pour survivre, mais nécessitent maintenant des interventions chirurgicales supplémentaires, des analgésiques et des soins de kinésithérapie pour recouvrer l’usage de membres et de muscles endommagés, et éviter de perdre davantage ou toute capacité de mouvement. De nombreux patients ont également besoin d’un soutien psychologique d’urgence car ils revivent des traumatismes passés et tentent de surmonter la perte de proches.
MSF à Mossoul
En 2017, MSF a travaillé à Mossoul et dans ses environs pour proposer des services de santé essentiels aux personnes affectées par la violence. Nous avons tenu plusieurs postes d’urgence dans l’est et l’ouest de Mossoul, et géré quatre hôpitaux proposant un ensemble de services, y compris des soins intensifs, chirurgicaux, maternels et d’urgence. Actuellement, MSF gère une maternité dans l’ouest de Mossoul ainsi qu’une structure de soins chirurgicaux et post-opératoires pour les blessés de guerre dans l’est de Mossoul. En juillet, MSF a commencé à proposer des services de santé mentale dans des cliniques de soins primaires dans l’est et l’ouest de la ville.