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Pas d’argent, pas de médicaments: marche arrière inquiétante en matière de recouvrement des coûts auprès des usagers

Un texte de Dr. Mit Philips, conseillère en politique de santé, service d’analyse chez Médecins Sans Frontières. Article publié sur https://medium.com/health-for-all

Dans un centre de santé malawite, une mère ne reçoit que la moitié des comprimés dont elle a besoin pour soigner son enfant contre le paludisme car elle n’a pas assez d’argent pour en payer la totalité (environ neuf dollars), mettant ainsi la vie de son enfant en danger.

En République centrafricaine (RCA), une femme enceinte est priée de payer l’équivalent de 2,7 dollars pour un test du VIH, mais elle ­n’en a pas les moyens. 

Dans une zone rurale de la République démocratique du Congo (RDC), une mère et son bébé ne sont pas autorisés à quitter l’hôpital tant que la somme de 38 dollars pour une césarienne d’urgence qui leur a sauvé la vie n’a pas été versée.

Consultation pédiatrique dans le centre de santé MSF de Bidibidi, en Ouganda.
Consultation pédiatrique dans le centre de santé MSF de Bidibidi, en Ouganda. © Frederic Noy 2017

Mais il ne s’agit là que d’exemples dont MSF a été témoin ; chaque jour, des millions d’autres connaissent des situations semblables lorsqu’ils tentent de bénéficier de soins de santé essentiels. Dissuadés de chercher à se faire soigner, les malades restent simplement à la maison et espèrent mourir en paix. D’autres retardent le moment de se rendre dans une structure de santé jusqu’à ce que leur état se dégrade, à tel point qu’il est souvent trop tard. De nombreuses familles désespérées sont contraintes de faire un emprunt ou de vendre leurs biens pour payer les soins, s’appauvrissant ainsi davantage. Les travailleurs de la santé, dont la rémunération est souvent insuffisante, prescrivent des traitements de mauvaise qualité ou inutiles en se basant sur ce que les patients peuvent, selon eux, se permettre ou sur ce qui sera le plus rentable. En cas d’épidémies, l’effet dissuasif du recouvrement des coûts auprès des usagers réduit le niveau de surveillance et de réponse car de nombreux patients décèdent au sein de leurs communautés sans être signalés aux autorités.

Une couverture de santé universelle d’ici 2030?

Ces dix dernières années, de nombreux pays ont résolu ce problème en introduisant la gratuité des soins de santé, que ce soit pour la population tout entière ou pour des groupes spécifiques, tels que les femmes enceintes, les enfants ou les personnes souffrant de certaines maladies. Toutefois, en Guinée, en RCA, en Jordanie, en RDC et dans d’autres pays, le paiement direct des soins continue d’être réclamé aux groupes les plus vulnérables, tels que les réfugiés, les populations déplacées ou les patients souffrant du VIH, de la tuberculose, de maladies non transmissibles ou du paludisme.

Malheureusement, le recouvrement des coûts auprès des usagers est actuellement étendu ou (ré)introduit dans certains pays qui avaient supprimé ces obstacles financiers aux soins de santé, tels que l’Afghanistan, le Mozambique ou le Malawi. Ces coupes budgétaires menacent désormais l’initiative de soins de santé gratuits pour les femmes et les enfants (Free Health Care Initiative for Women and Children) en Sierra Leone.

En outre, les baisses de subventions internationales de santé contraignent de plus en plus de pays à dépendre de leurs ressources nationales pour maintenir et étendre leur couverture de santé. Cela a mené à la (ré)introduction du recouvrement des coûts de santé auprès des usagers en tant qu’outil de mobilisation de ressources, malgré de nombreuses preuves que les paiements directs ne génèrent pas suffisamment de revenus et ont un effet néfaste sur la population, car ils limitent notamment l’accès aux soins, ils accroissent la pauvreté et ils « punissent les pauvres ».

Les consultants et conseillers ignorent volontiers ces preuves, y compris l’inefficacité des exemptions individuelles de « pauvreté » (à savoir si une personne entre dans la catégorie des indigents ou non). De plus, les agences internationales, telles que la Banque mondiale, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les donateurs ou les gouvernements nationaux, ne parviennent pas à tenir leurs engagements d’élimination du recouvrement des coûts auprès des usagers, ce qui a un impact négatif sur les trois dimensions de la couverture de santé universelle. L’incapacité à sortir du prélèvement direct des frais de santé auprès des patients s’accompagne d’un coût humain élevé et réduit les chances de fournir une couverture de santé universelle d’ici 2030, comme le prévoient les engagements pris.

Raissa et sa fille de 18 mois, Maiva, dans le quartier de Malimaka à Bangui en République centrafricaine.
Raissa et sa fille de 18 mois, Maiva, dans le quartier de Malimaka à Bangui en République centrafricaine. ©Sandra Smiley 2017

J’ai accouché de Maiva à l'hôpital Castor (où MSF gère un projet). Pour les autres enfants, j’ai accouché dans l’un des grands hôpitaux à Bangui. Là-bas le personnel ne s’occupe pas des malades, leur première priorité c’est l’argent. Quand je suis allé à l’hôpital pour accoucher de mon deuxième fils, j’ai accouché seule à même le sol dans la salle d’attente. Si tu veux que la sage-femme vienne auprès de toi, il faut lui filer de l’argent d’abord. 

Le recouvrement des coûts auprès des usagers: un mal inutile

Toute volonté sérieuse de traduire la couverture de santé universelle en mesures concrètes doit passer par le retrait des paiements directs par les patients. Cela nécessite la mise en place de ressources dédiées capables de payer pour les services médicaux plutôt que de demander aux patients d’en assumer les coûts. L’abolition efficace du recouvrement des coûts auprès des usagers nécessite de rémunérer davantage le personnel de santé pour compenser la perte de revenus provenant des paiements directs de patients et de renforcer les stocks et les services pour pouvoir répondre à une demande accrue.

En 2005, le recouvrement des coûts auprès des usagers a été reconnu comme un « mal inutile » et en 2009, l’ensemble des acteurs ont été appelés à « agir en rendant les soins de santé gratuits dans les pays pauvres ». Près de dix ans plus tard, nous ne pouvons que constater les conséquences intolérables de ces pratiques néfastes. Nous enjoignons les responsables de la santé mondiale, y compris les gouvernements nationaux, d’appliquer et de soutenir les politiques existantes de gratuité des soins et de mettre un terme, en priorité, au recouvrement des coûts auprès des usagers comme stratégie de financement de la santé. Pour éviter tout manque d’accès continu aux services essentiels et difficulté financière inutile, la taxation des malades doit cesser de toute urgence.