Médias sociaux

  • FR
Open the menu

Sauvetage en Méditerranée: « Tout d’un coup, il y a 477 nouveaux passagers à bord »

MSF a lancé un bateau, le Bourbon Argos, en Méditerranée pour porter secours aux personnes fuyant vers l’Europe sur des embarcations délabrées. Il y a quelques jours, il a réalisé sa première opération de sauvetage au large de la Libye. Le Belge Wiet Vandormael, coordinateur-adjoint du projet raconte comment cela s’est déroulé. 

© Julie Rémy / MSF
© Julie Rémy / MSF

Nous sommes à proximité des côtes libyennes et nous voyons des canots pneumatiques abandonnés dériver sur l’eau (leurs passagers ont été sauvés) et parfois un gilet de sauvetage ou des vêtements. Il est vraiment surréaliste d’imaginer que ces embarcations de fortune traversent la région avec des centaines de personnes à leur bord.

Après deux jours de patrouille, nous recevons notre premier appel à l’aide. Il est 8 h du matin lorsque le centre d’urgence de Rome nous contacte : il a capté un signal d’alerte à 60 milles (environ 5 heures de navigation) de notre position. Le capitaine nous donne l’ordre de nous rendre sur place au plus vite.

Vers 14 h, nous repérons un bateau de pêche grâce à nos jumelles. Plus nous nous rapprochons, plus la situation nous apparaît clairement : l’embarcation est surchargée de passagers, tous étonnamment calmes. Nous demandons aux garde-côtes italiens la permission d’approcher le bateau et de commencer l’opération de sauvetage – permission qui nous est accordée.

Notre traducteur explique qui nous sommes, ce que nous venons faire et comment l’intervention va se dérouler. Avec la précision nécessaire, nous plaçons notre navire le long du petit bateau de pêche, qui n’était visiblement plus en état de naviguer depuis longtemps. Nous voyons des personnes qui sourient et qui lèvent leur pouce pour montrer que tout va bien.

Une fois le bateau bien amarré au nôtre, nous faisons monter les passagers à bord l’un après l’autre. D’abord les femmes et les enfants. On me met les plus petits dans les bras et je les conduis quelque part sur le pont. Les femmes tombent à genoux et embrassent le sol. Depuis que je travaille chez MSF, c’est la première fois que je verse une larme de joie. Il m’est même difficile de décrire ce moment dans mon journal. Tellement d’émotions, de bonheur et de soulagement.

Rapidement, c’est au tour des hommes. Ils nous remercient avec un grand sourire et nous tendent la main. Ils prennent place sur le pont arrière.

En une heure, tout est terminé et nous avons 477 nouveaux passagers à bord. L’équipe médicale se met à la tâche : tous les passagers doivent être examinés. Les besoins médicaux s’avèrent limités : quelques personnes souffrent du mal de mer ou de maux de tête, certains ont une maladie chronique et il y a quelques femmes enceintes. Plusieurs personnes ont aussi des infections de la peau, probablement contractées lors de leur détention en Libye.

ENFIN EN SÉCURITÉ

Nous commençons ensuite à distribuer de l’eau, des compléments alimentaires, des tapis de couchage et des couvertures thermiques. La nuit, tout le monde se couche sur le pont dans sa couverture de survie étincelante. La lumière s’y réfléchit et le vent joue aussi dessus. C’est impressionnant de voir toutes ces personnes épuisées qui se sentent enfin suffisamment en sécurité pour se coucher par terre, les unes auprès des autres. Le matin, notre cuisinier leur apporte une soupe de nouilles bien chaude pour leur faire oublier la nuit glaciale.

Durant les 24 h où nous naviguons ensemble, ils nous racontent des histoires poignantes. Certains ont quitté l’Érythrée depuis six mois déjà, ils ont payé une somme astronomique pour le voyage et ont ensuite été détenus pendant des mois en Libye. D’autres ont traversé le désert soudanais dans un pick-up bondé pour atteindre la Libye, où ils sont finalement tombés entre les mains des passeurs. Des histoires émouvantes de personnes en quête d’un refuge plus sûr et d’un meilleur avenir pour eux-mêmes et leurs enfants (17 enfants à bord, qui n’ont pas conscience de ce qui leur arrive !), qui ont pris la fuite pour des motifs auxquels, à leur place, nous tenterions tous d’échapper : la faim, la violence, l’oppression, la misère.

Nous entrons maintenant dans le port d’Augusta, en Sicile. Nous amarrons le navire au quai et attendons que les équipes du ministère de la Santé et de la Croix-Rouge montent à bord pour réaliser l’examen médical officiel. Nos passagers se rassemblent autour de deux prêtres et commencent à prier et à chanter en chœur. L’un d’entre eux m’explique qu’ils remercient leur dieu d’avoir survécu à la traversée. Je vois de gens pleurer et rire en même temps. J’en ai des frissons dans le dos.

Quand ils quittent un à un notre navire, j’essaye de leur souhaiter encore bonne chance et de leur serrer la main. Beaucoup me prennent dans leur bras, me remercient et descendent du bateau.

SOUS CLOCHE

Nous sommes frappés par le fait que le personnel de la Croix-Rouge et des autorités italiennes porte une combinaison blanche avec un masque et des gants. Cela contraste avec nous, qui avons accompagné les passagers sans protection jour et nuit. Une petite fille me demande timidement si c’est la police.

Parfois, j’ai l’impression que nous vivons sous cloche et que nous considérons tout élément étranger comme un facteur de contamination. Je suis fier et heureux que MSF retrousse littéralement ses manches pour porter assistance de manière humaine à ces gens, quand tout espoir semble s’être évanoui.

Lorsque tous nos passagers ont quitté le bateau, nous constatons qu’ils ont tout rangé soigneusement derrière eux. Ils ont même nettoyé les toilettes pour nous remercier de notre hospitalité.

C’était un premier voyage réussi, que nous n’oublierons jamais.

Wiet