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Réponse de MSF à l’invitation à signer le code de conduite proposé aux ONG

Lettre envoyée par MSF au ministre italien de l’Intérieur le lundi 31 juillet 2017 pour clarifier notre décision de ne pas signer le code de conduite proposé aux ONG. MSF rend cette lettre publique, avec l’accord du ministère.

"Nous vous écrivons afin de partager la réponse de Médecins Sans Frontières à votre invitation à signer le code de conduite proposé par le ministre italien de l’Intérieur en consultation avec la Commission Européenne.

En premier lieu, nous souhaitons réitérer notre reconnaissance vis-à-vis de l’engagement de l’Italie à secourir des centaines de milliers de vies au cours de ces dernières années. Nous sommes conscients des défis imposés à l’Italie par le système dysfonctionnel européen pour les demandeurs d’asile et la réponse insuffisante des autres Etats européens. Ces défis importants méritent beaucoup plus d’attention de la part de l’Europe et de la communauté internationale.

Nous voulons aussi rappeler que MSF a abordé la discussion dans un esprit constructif et nous avons exprimé la nécessité pour le code de définir et protéger les principes de recherche et de sauvetage en mer. Dans cet échange, notre objectif a toujours été d’assurer le meilleur niveau de coordination et de compréhension de tous les acteurs opérant en mer. Nous avons également fait notre possible pour dissiper les doutes ou les suspicions au regard des objectifs et du travail des organisations humanitaires engagées dans les activités de recherche et sauvetage.

Au cours de la semaine dernière, nous avons partagé avec vous une liste de nos préoccupations par rapport au code de conduite, afin d’obtenir des éclaircissements, et dans l’espoir d’y voir les amendements nécessaires qui nous auraient permis de signer le document. Après une évaluation minutieuse de la nouvelle proposition, nous reconnaissons que des efforts significatifs ont été faits pour répondre à plusieurs des inquiétudes soulevées par MSF et d’autres organisations. En revanche, un certain nombre de nos préoccupations et demandes formulées dans notre courrier du 27 juillet restent sans réponse. Pour le dire clairement : les principaux fondements et le cadre général demeurent en substance inchangés. C’est pour cette raison et après une étude approfondie, que nous sommes au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de signer le code de conduite.  

Bien que conscients des implications et des conséquences potentielles de cette décision, nous revenons sur les raisons qui ont fondé ce choix et qui continuent d’être au cœur de nos préoccupations.

D’abord, la recherche et le sauvetage en mer n'ont qu’un seul et un unique but : sauver des vies en danger. Nous souhaitons aussi souligner que la responsabilité des opérations de recherche et sauvetage en mer incombe aux Etats. De fait, nos activités de secours ne visent qu’à combler le « vide de responsabilité » laissé par ces derniers. Nous espérons que ce vide n’est que temporaire et nous en appelons aux Etats membres de l’Union Européenne (UE) pour qu’ils mettent en place un protocole proactif dédié de recherche et sauvetage pour venir soutenir l’Italie dans ses efforts pour sauver des vies en mer. De notre point de vue, le code de conduite n’affirme pas assez explicitement la priorité du secours en mer, ne reconnaît pas le rôle considérable des organisations humanitaires et  par-dessus tout, ne met pas en avant de mesure spécifique à même de consolider le système de recherche et sauvetage. 

Au contraire, le code reste ambigue sur de nombreux points et nous n’avons pas reçu les assurances suffisantes que son application n’impactera pas l’efficience et les capacités des opérations actuelles. Certains engagements – en particulier celui qui stipule que, à la place d’un transfert vers d’autres navires, les bateaux de sauvetage doivent débarquer les survivants dans un endroit sûr– limitent inutilement les moyens à notre disposition aujourd’hui. Depuis le début de ses opérations en mer, MSF a parfois été amenée à accepter des survivants d’autres bateaux, voire à en transférer elle-même. Ces transferts ont toujours eu lieu à la demande, ou sous la supervision du Centre de coordination et de sauvetage maritime (MRCC) situé à Rome. 

Ces opérations doivent se poursuivre afin de s’assurer que de plus petits bateaux qui effectuent des sauvetages aient la possibilité de transférer les personnes secourues. Jusqu’à présent, ils ont rempli un rôle important, notamment en stabilisant les bateaux en détresse avant que de plus grosses embarcations ne prennent le relai. Nos navires sont souvent dépassés par le nombre de bateaux à secourir dans le même temps. Dans sa forme actuelle, le code de conduite met en péril cet équilibre fragile entre des bateaux disposant de ressources et capacités différentes.

L'urgence causée par l’entendue des situations de détresse et le nombre très élevé de décès en mer nécessite des mesures importantes et ciblées. Nous craignons que la mise en œuvre de ce code ne conduise au départ de ces acteurs de la zone de recherche et de sauvetage (SAR) et à un élargissement de l’aire qu’ils doivent couvrir.

Le code semble également vouloir impliquer d'autres Etats dans la réponse en matière de recherche et sauvetage en mer, en particulier, l’obligation de déclarer chaque intervention de sauvetage auprès des autorités compétentes (Etat du pavillon et MRCC). Jusqu'à présent, nous n'avons travaillé que sous la coordination du MRCC italien et jusqu’ici, celle-ci s’est révélée efficiente. Le code impose cette déclaration auprès des MRCC. Nous avons demandé des garanties par rapport à cette mesure, afin qu’elle n’impacte pas la réactivité des opérations de sauvetage et le débarquement des survivants dans un endroit sûr. Or, les modifications apportées à cette obligation dans la version finale du code ne répondent pas assez précisément à cette question. Les responsabilités entre les MRCC actives dans la région ne sont pas clairement établies et ont, conduit à un certain nombre de tragédies dans le passé. Cette problématique reste au cœur de nos préoccupations.

En outre, nous avons examiné les dispositions du code à la lumière de nos principes humanitaires d'indépendance, d'impartialité et de neutralité. Le respect de ces principes est essentiel afin de garantir notre accès aux populations en danger partout dans le monde ainsi que la sécurité de nos équipes. La présence de policiers armés à bord va manifestement à l'encontre d’une politique « sans armes » que nous appliquons à tous nos projets dans le monde, afin de préserver la sécurité de nos équipes. Nous demandons cet engagement tant aux militaires et forces de police gouvernementales qu’aux acteurs non-étatiques tels que des groupes armés ou des milices. Bien que la nouvelle version du code garantisse désormais que les activités humanitaires ne soient pas entravées par la présence de la police à bord de nos navires, nos équipes seraient tenue de contribuer activement à la collecte de preuves et aux enquêtes policières. C'est une dénaturation de notre mission. Le code ne fait référence ni aux principes humanitaires, ni à la nécessité d'une séparation absolue entre, d'une part l'application de la loi et les opérations de police, et d'autre part une action humanitaire autonome et indépendante.
Le strict respect des principes humanitaires internationalement reconnus représente une condition préalable impérative et absolue pour nous. C'est en effet le seul moyen d'assurer notre accès aux populations dans le besoin, pratiquement partout dans le monde, tout en nous permettant de fournir à nos travailleurs sur le terrain un degré de sécurité suffisant.

Mettre à mal ces principes pourrait avoir une incidence négative sur la perception de MSF en tant qu'organisation humanitaire médicale véritablement indépendante et impartiale.

Compte tenu de ces impératifs pour une organisation comme MSF, nous sommes convaincus que vous comprendrez notre position, claire et rigoureuse, dans une situation où persiste un risque important de mécompréhensions et d’erreurs d’interprétation. À de nombreuses reprises par le passé, MSF a dû clarifier les malentendus sur son rôle et sa mission, et aura sans doute à le faire à l'avenir.

Enfin, nous avions, dans notre lettre précédente, partagé nos préoccupations au sujet de la situation dramatique en Libye, où nous avons des activités. Les gens que nous prenons en charge dans les centres de détention autour de Tripoli et ceux que nous secourons en mer partagent les mêmes histoires de violence et de traitements inhumains. La stratégie mise en place actuellement par le gouvernement italien et l'UE pour contenir les migrants et réfugiés en Libye,  à travers leurs opérations militaires et le soutien visible aux gardes côtières libyennes est, dans les circonstances actuelles, extrêmement préoccupante. La Libye n'est pas un endroit sûr où les gens devraient être renvoyés, que ce soit depuis le territoire européen ou depuis la mer.

Nous ne croyons pas que les missions de recherche et de sauvetage puissent être la solution pour apporter une réponse à la migration par bateaux et la mortalité en mer, mais il semble néanmoins nécessaire, en l'absence de toute autre alternative pérenne pour ces personnes, de chercher à les protéger. Anéantir leur seule et ultime alternative à l'exploitation et à la violence ne peut pas être une solution acceptable. C'est également pour cette raison que l'annonce récente de l'opération militaire italienne dans les eaux libyennes est un autre sujet de préoccupation. Cela confirme la nécessité de réitérer l'absolue indépendance de nos opérations de sauvetage en mer vis-à-vis des objectifs militaires et de sécurité des autorités italiennes.

Pour toutes ces raisons, nous sommes au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de signer ce code de conduite. Nous souhaitons cependant réaffirmer que les opérations de MSF en mer ont été conformes au droit international et que tous nos sauvetages ont été réalisés en toute transparence et sous la coordination du MRCC. Même si nous ne pouvons pas signer ce code de conduite dans sa forme actuelle, nous nous engageons à continuer à respecter les dispositions qui ne relèvent pas des préoccupations exposées dans la présente lettre. Il s'agit notamment des parties du code relatives à la pertinence technique, à la transparence financière, aux signaux lumineux ainsi qu’aux transpondeurs. Nous nous engageons également à poursuivre notre coopération avec le MRCC pour toutes les questions liées aux opérations de sauvetage en mer et au débarquement. Nous continuerons à travailler de manière constructive face à toutes les demandes venant des autorités, y compris de la police judiciaire, dans le plein respect de nos obligations légales.

Nous restons à votre disposition pour échanger par rapport à notre décision. Nous réitérons notre engagement pour améliorer la coordination et l'efficacité des opérations de recherche et de sauvetage en mer avec votre ministre."